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Michel Setboun – Au Cœur de l’Histoire : Iran Révolution

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À 17 ans, j’avais envie de voyager à travers le monde et d’en découdre avec le réel. Plus tard, étudiant en architecture, pendant les vacances universitaires, alors que mes amis se faisaient bronzer sur les plages, je préférais aller sur le terrain, avec la conviction, déjà, que les images pouvaient changer le cours de l’histoire, offrir un regard héroïque et humaniste aux événements. Je m’imaginais grand reporter, à l’instar d’un Nick Ut ou d’un Larry Burrows. En 1975, alors âgé de 23 ans, je pris la direction du Liban, qui sombrait dans la guerre civile, puis celle de l’Angola, en proie à des troubles depuis son indépendance en 1976.

En 1978, sentant les prémices d’un bouleversement en Iran, je décidai d’y aller. Ce fut le premier de mes innombrables voyages en terre persane. L’Iran était alors dirigé par le shah Mohammad Reza Pahlavi. La dynastie des Pahlavi régnait sur le pays depuis 1925. Mais en cette fin des années 1970, face aux inégalités criantes, le peuple, emmené par les partis de gauche et surtout le clergé chiite, commençait à faire entendre sa voix. Il aspirait à plus de justice sociale et souhaitait lui aussi profiter des colossaux revenus issus du pétrole. Face à cette grogne, Pahlavi, à travers sa puissante police politique, la Savak, et soutenu par son indéfectible allié américain, réprimait violemment l’opposition. Quand, au début de l’année 1978, la presse commença à évoquer des troubles dans la région, je parlai d’une possible révolution en Iran à Goksin Sipahioglu, patron de l’agence Sipa. Sa réponse fut ironique : « Tu n’y penses pas ! Sais-tu qui est le shah ? Chaque semaine, la presse mondiale publie des reportages à la gloire de la famille impériale. Comment peux-tu imaginer qu’un régime avec une armée aussi puissante et soutenu par l’Amérique puisse s’effondrer à cause de quelques pauvres religieux enturbannés ? » Je décidai quand même de me rendre sur place. J’arrivai de nuit à Téhéran et débarquai dans un hôtel minable, près du bazar, que je connaissais pour y avoir déjà séjourné. J’avais peu d’argent et j’étais seul. Je ne connaissais personne et je ne parlais pas le persan… Je passai plusieurs semaines à errer dans les rues de la capitale, cherchant en vain ces manifestations dont parlait la presse. Ce fut un échec, je rentrai bredouille à Paris.

Malgré tout, j’avais la certitude que l’histoire ne faisait que commencer. Quelques semaines plus tard, je repartis. Je fis le choix de travailler sur la famille impériale, suivant l’argument imparable du directeur de l’agence Sipa : « Tu sais, ce sera nettement plus rentable que tes histoires de mollahs pouilleux. » Une fois de plus, il avait raison. Quelques semaines plus tard, mes reportages sur le shah étaient publiés dans la presse. Ces premiers séjours, certes peu glorieux, me permirent de gagner ma vie, mais surtout d’acquérir une connaissance plus intime du pays, de nouer des contacts, qui me serviraient par la suite pour couvrir en tant que photographe et témoin privilégié ces événements si importants, de la révolte des mosquées en 1978, alors que le régime du shah semblait encore indestructible, jusqu’à la victoire du «prophète» en 1979.

En tant que photographe, il m’a été tout de suite très facile de me fondre au sein de la population iranienne. D’une part parce qu’on m’a toujours pris pour un Iranien. D’autre part parce que l’Iran est, par excellence, le « pays des images ». Cet intérêt pour l’image, paradoxal dans un pays islamique où la photographie est souvent mal tolérée voire interdite, comme dans l’Afghanistan des talibans, est très ancien en Iran et lié au chiisme. On le retrouve sur les miniatures d’Ispahan, mais aussi dans les cimetières, où les tombes sont ornées de photos très réalistes des défunts. Les peintures murales sont omniprésentes dans les rues et les cinéastes iraniens sont primés dans le monde entier.

 

À propos du livre

Ce livre est avant tout un témoignage visuel. Je souhaite raconter ce que j’ai vu et vécu au jour le jour, être un simple « rapporteur d’histoire »… qui ne porterait aucun jugement sur l’Histoire.

Depuis plusieurs années, je travaillais essentiellement  sur des livres en noir et blanc. Je retouchais mes  images avec retenue, en respectant les codes de la  photographie classique monochrome. En évitant si possible les stridences, la saturation et les fausses notes…

Mais au fil des années, une idée a émergé. J’ai eu envie de montrer des images hors du commun, d’aller plus loin, de basculer vers un autre univers visuel. J’ai alors commencé à pousser à fond les curseurs de mes programmes informatiques, pour raconter mes histoires autrement. Un travail schizophrénique sur deux fronts, comme si j’écoutais en stéréo de la musique classique et du rap…

Mes images de la révolution se prêtèrent comme par magie à toutes ces manipulations, de plus en plus graphiques et épurées. Curieusement, mes photographies originales en noir et blanc étaient en fait constituées de gris, de demi-teintes : en poussant un peu plus les curseurs, je fis apparaître les traits, du noir et du blanc, rien de plus… Les photos devinrent des dessins au trait, comme de la calligraphie. Mon travail se transforma en un genre de bande dessinée « photo-graphique ».

Contrairement à la peinture, la photographie prétend représenter le réel. Un sentiment de culpabilité taraudait donc l’ancien photojournaliste que je suis.
Pour un reporter du réel, transformer les images relève du crime de lèse–photographie. Les photographes excommuniés par leurs pairs, à la suite de retouches trop visibles, ne manquent pas, comme en témoigne la polémique autour de Steeve McCurry, lequel s’est défendu en définissant son travail comme une « narration visuelle ». Plus de quarante ans de pratique m’ont pourtant convaincu que la photographie n’est qu’un faux-semblant. C’est une représentation de la réalité parmi d’autres, un art consommé du subterfuge, voire du mensonge, qui persiste à nous faire croire à sa vérité, une merveilleuse illusion, racontant à celui qui s’y plonge sa propre histoire, réceptacle de son « image-inaire »…

Pour cet ouvrage, j’ai décidé de m’émanciper des règles induites par la photographie et de cesser de prétendre au réel. J’ai voulu sortir du monde de la photo pour pénétrer dans celui de l’image, deux univers visuels aux frontières poreuses… Un peu à la manière des « anciens maîtres », j’ai trafiqué contrastes, filtres, lumières, couleurs et lignes, avec
des outils informatiques innovants… Comme un musicien qui passerait du piano au synthétiseur. Mon projet joue sur les stridences et la saturation, les lignes et les courbes, le vrai et le faux, le flou et le net. Mais ces images transfigurées restent de la photographie, exigeant une bonne qualité initiale. À la différence du dessin, leur captation est assurée par un outil photographique, qui respecte toujours les lois de la perspective géométrique (optika, en grec).

Le résultat surprend, déroute parfois. Difficile de définir les lignes entre le monde de la photographie et celui de l’image. Repousser ces limites m’a ainsi ouvert de nouvelles possibilités de narration en images. J’ai cherché pendant longtemps un nom à cet OPNI (objet photographique non identifié). Il suffisait d’ajouter un trait d’union entre photo et graphie pour renouer les liens entre photo et image…

 

http://www.setboun.com/

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