Écrit par Luc Debraine
Le photographe suisse a passé l’an dernier quatre mois en résidence à Budapest. Avant d’organiser une exposition en plein air, au printemps dernier, qui n’a pas recueilli que des louanges.
Dans les années 1980, Michael von Graffenried était l’enfant terrible de la photographie suisse. Il avait surpris, entre autres insolences, les parlementaires du Palais fédéral en train de dormir ou les doigts dans le nez. Scandale ! Les photographes accrédités au Palais avaient tenté d’interdire d’entrée leur jeune collègue, au surcroît issu de l’une des plus anciennes et illustres familles bernoises.
Quatre bonnes décennies plus tard, Michael von Graffenried n’a pas changé. Il reste fidèle à son credo de montrer ce qu’un pouvoir ou les convenances ne sauraient voir. Il a forcé les Suisses à regarder leur scène de la drogue en placardant ses images dans les gares du pays. Il était l’un des rares photographes présents en Algérie lors de la décennie noire. Son exposition en plein air dans la ville sainte de Bénarès, en Inde, a été censurée au bout de deux jours. Les autorités et la presse de New Bern en Caroline du Nord, fondée en 1710 par un aïeul de Michael von Graffenried, ne veulent pas entendre parler du livre que le photographe a consacré à la petite ville sudiste (Editions Steidl, 2021). Et ainsi de suite, des rues populaires du Caire à la Fête de la Bière à Munich, du Soudan en guerre à Rio de Janeiro en pleine préparation des Jeux Olympiques.
Pour autant, l’intéressé ne revendique pas le mot « provocation ». « Je préfère l’idée que la photographie de reportage doit déclencher une petite décharge électrique. Ce choc n’a d’autre raison d’être que d’encourager à réfléchir, surtout à questionner ses propres a-priori », dit-il. Ce regard sous tension passe, depuis trente ans, par un usage maîtrisé du format panoramique. Le cadrage permet d’inclure un maximum d’informations dans l’image. Il déborde la description pour créer une narration, à tel point que Michael von Graffenried ne légende presque jamais ses photographies.
Les Hongrois qui ont découvert au printemps dernier le dernier reportage de Michael von Graffenried n’ont, effectivement, pas eu besoin d’explication pour en saisir le contenu. Au bénéfice d’une bourse de la fondation suisse Landys+Gyr, le photographe a passé les quatre derniers mois de 2021 à Budapest. Il s’est intéressé aux cérémonies religieuses, aux fêtes nationalistes, aux stands de tirs, aux supporters du président Viktor Orban, aux sans-abris, aux oligarques en goguette sur le lac Balaton, aux néo-nazis, aux roms, aux pinces-fesses nocturnes, bref à tout ce que la propagande d’un pays à tendance autoritaire évite comme la gale.
Grâce à l’appui de la mairie de Budapest, de centre-gauche, et de la fondation Pro Helvetia, Michael von Graffenried a pu exposer vingt-six grandes photographies sur la place centrale Deak Ferenc au mois de mai dernier. L’exposition en plein air avait lieu dans le cadre du Festival du Printemps. Beaucoup de passants ont apprécié ce regard décillé sur la société hongroise contemporaine. D’autres moins. Des lettres de protestation n’ont pas tardé à arriver à la mairie. La mère d’une jeune néo-nazie, photographiée svastika au bras devant une station de métro, a refusé tout dialogue avec Michael von Graffenried. Lequel a découvert que cette maman appartenait aux milieux proches du pouvoir présidentiel. Le photographe a fini par remplacer son image par une scène prise dans une synagogue de Budapest. Le patron d’un club pour travestis s’est plaint que le photographe ne lui avait pas demandé d’autorisation, alors même que le club est très présent sur les réseaux sociaux. Michael von Graffenried a couvert sa photo par le plan large d’une messe organisée en l’honneur de la visite à Budapest du pape François, en septembre 2021.
Malgré ces deux censures, et quelques graffitis supplémentaires, l’exposition « Magyarok – Les Hongrois » est allée en mai dernier jusqu’à son terme. A la grande satisfaction du photographe, toujours sûr de la date d’ouverture de ses événements publics, un peu moins de leur date de fermeture.
Luc Debraine