Après avoir construit sa renommée comme photographe documentaire, le travail de l’artiste suisse Michael von Graffenried attire de plus en plus la reconnaissance du monde de l’art contemporain. Si l’artiste a déclaré qu’il cherche à « montrer la réalité d’aujourd’hui », en d’autres termes à enregistrer et montrer ce qui est là en toute objectivité, la façon dont il choisit ses sujets et les techniques qu’il développe ont permis à sa pratique photographique de se distinguer d’un simple enregistrement de la réalité. En effet, Michael von Graffenried a élaboré une œuvre personnelle et puissante bien au delà des critères qui s’appliquent au photo-journalisme. Chaque image est une œuvre indépendante et représente un microcosme qui révèle des sociétés et des communautés dans lesquelles les êtres humains existent, ce qui est rendu possible, comme nous le verrons, par des efforts du photographe pour « disparaître » – afin d’être un œil invisible au cœur de l’humanité.
Les œuvres de Michael von Graffenried réalisées en Algérie et au Caire représentent une étape de plus dans son désir en tant qu’artiste de pénétrer à l’intérieur de ces sociétés particulières où les photographes sont perçus avec beaucoup de méfiance, ce qui l’a amené à trouver des solutions lui permettant de prendre des photos inaperçu. Graffenried à commencé par utiliser un petit appareil photo panoramique Widelux, qu’il pouvait tenir discrètement sur sa poitrine et déclencher sans que ses sujets s’en rendent compte. Ce mode opératoire donne à l’artiste le grand avantage de créer des images qui suppriment toute relation entre le photographe et les personnes qu’il photographie.
« Me voilà, pour trois mois, artiste en résidence, au Caire. Très vite, je rencontre un galeriste local, auquel je montre mes travaux précédents. Puis il m’appelle pour me dire qu’il ne dort plus et que s’il expose mon travail il perdra sa galerie. Dans un laboratoire, je fais tirer une photo du marché aux chameaux de Birqash sur une toile de bâche de camion. Quand je ramène les autres images, la vendeuse me demande le sujet de mes photos. C’est le Caire, lui dis-je, ne reconnaît-elle pas sa ville? Elle fait venir le patron, qui refuse d’agrandir les photos. Il m’explique que c’est de la photo de presse et qu’elles doivent être validées par la censure officielle. Ce refus, c’est bien sûr l’autocensure que s’impose chacun, conséquence de la sévère censure d’état. Mais je ne peux m’empêcher d’y voir, aussi, une forme d’hypocrisie. Mes images ne montrent rien d’autre que la vie quotidienne de la ville, ce que chacun de ses habitants peut voir de ses propres yeux tous les jours. Je finis par trouver un autre tireur, et je décide de garder le silence sur mon projet : exposer mes photos, pendant une journée, sur le toit d’un immeuble au cœur de la ville, où se dressent des abris de fortune. Il y a beaucoup de Nubiens, des réfugiés économiques de la Haute Égypte. Mes « voisins » du dernier étage acceptent tout de suite de partager les lieux avec mes photos. Le jour dit, une centaine de visiteurs trouve le chemin du toit, au douzième étage. Le Daily Star publie une page sur l’exposition une semaine plus tard. »
Tout au long de la carrière de Michael von Graffenried, son appareil photo a toujours été un outil qui lui sert à communiquer, avec ses sujets, avec la société, et avec le public au sens large, que ce soit dans le contexte spécifique où les photographies sont prises ou dans un contexte beaucoup plus large, à l’échelle internationale. L’exposition de Parker’s Box fait partie intégrante de cette communication : la présentation d’images sans prétention qui témoignent de l’atmosphère tourbillonnante et agitée du Caire dans les années qui précèdent le Printemps arabe de 2011. A l’opposé de la surcharge d’images médiatiques qui ont documenté la suite des événements, inondant notre conscience à travers le filtre de la multitude d’écrans qui accompagnent chaque instant de notre vie, les photographies de Michael von Graffenried placent le spectateur physiquement au centre de l’arène.
Dans ces images panoramiques, la proximité des sujets au premier plan s’ajoute à l’effet d’aplatissement lié au mode d’action panoramique spécifique à l’appareil photo. L’espace habité par les sujets semble alors fusionner avec l’espace occupé par le spectateur. De cette façon, les détails des photographies s’imposent formellement, comme les dispositifs esthétiques de la peinture classique et deviennent en même temps de plus en plus intrigants et ambigus. La proximité que le spectateur entretient avec le contenu de ces photographies signifie que des détails tels que l’écriture arabe sur le bouclier d’un policier anti-émeute, un voile blanc enveloppant entièrement la tête d’une écolière enjouée, le billot d’un boucher, etc .. tous ces éléments véhiculent une puissante présence picturale.
Si l’exploration des sociétés qui luttent contre des régimes politiques oppressants est une arène très fréquentée, le travail de Michael von Graffenried parvient, en supprimant l’artifice habituel de la photographie, à révéler le vrai visage de l’humanité en ces lieux.
Parkersbox, Inside Cairo
Michael Von Graffenried, Inside Cairo
Du 15 juin au 15 juillet 2012
Parker’s Box
193 Grand Street . Brooklyn, New York 11211.
1718 388 2882
Gallery Hours Thur-Sun, 1PM -7PM