Après vingt ans de travail dans l’ombre, Michael Mack, fondateur il y a trois ans de la maison d’édition éponyme, connaît aujourd’hui avec son catalogue audacieux un succès retentissant. En apprenti confirmé, il a forgé le caractère de ses ouvrages au côtés, notamment, de l’exigent Gerhard Steidl. A 46 ans, le Britannique mise sur la délicatesse de sa qualité de fabrication, la prise de risque en publiant de nouveaux talents et un dialogue profond avec les artistes qu’il choisit. Bien sûr, quelques noms célèbres tels que Paul Graham figurent à son répertoire, mais d’autres moins connus – Christian Patterson, Antonio Xoubanova, William E. Jones – sont promis, grâce entre autre à MACK, à un bel avenir. Pour cette journée dédiée à la maison, Le Journal s’est entretenu au téléphone avec Michael Mack, qui nous parle de ses débuts, de son travail avec les photographes et livre son avis sur la conception des ouvrages, numériques notamment.
Pourriez-vous nous dire comment votre passion pour les livres de photographie a vu le jour ?
M. Mack : J’étais très intéressé par la photographie et j’ai pu travailler dans une petite galerie de Londres. J’étais très mauvais pour vendre des impressions ; j’y organisais quelques petites expositions et réalisais quelques livres. Je compris à ce moment que la relation entre la photographie et la page imprimée était bien plus intéressante que celle qui existait entre elle et la galerie. 20 ans de pratique on renforcé cette opinion, je ne crois toujours pas qu’une photographie devrait trouver sa place sur un mur de galerie. Donc j’ai eu l’opportunité de faire des livres au début et réalisé que le livre était ce qui m’excitait le plus. L’un d’eux fut publié par l’Architecture Association de Londres et traitait de la relation entre la photographie et l’histoire en Allemagne ; c’était au début des années 90, et donc Reconstructing Space: Architecture in Recent German Photography présentait le travail de Gursky, Struth et de gens comme cela. Et un autre était une sorte de panorama de la photographie contemporaine.
Quel âge aviez-vous à cette époque-là ?
M. M : J’avais 25 ans.
Après cela, vous avez commencé à travailler pour Gerhard Steidl, c’est bien ça ?
M. M : Oui, absolument. J’ai eu un coup de fil tout à fait typique de Gerhard où il me dit : je voudrais venir vous voir à Londres. À cette époque, je ne savais pas qui il était, il ne publiait pas encore de livres illustrés ; il publiait les œuvres de Günter Grass ainsi que d’autres gens. C’était en 1994, il est venu et il m’a expliqué ses projets avant de me demander si je voulais travailler avec lui.
Qu’avez-vous appris en travaillant auprès de lui pendant 25 ans ?
M. M : Tout ce que je sais, je l’ai appris en sa compagnie. Le point fondamental étant bien sûr la qualité de production ; permettre à un artiste de s’exprimer, c’est quelque chose que, parfois, les autres éditeurs font l’erreur de ne pas faire ; faire confiance aux auteurs, leur permettre de prendre des décisions. Et puis, moins intéressant mais tout aussi important, à côté de mon travail éditorial, je m’occupais aussi de la partie commerciale. J’ai tout appris à propos de la distribution, de l’aspect financier de la production de livres, etc. Cela m’a permis de comprendre ce qui n’allait pas dans le système, quand je suis parti pour m’installer à mon compte. Il est très clair pour la plupart des gens que le système ne fonctionne pas pour ces livres en particulier.
Travaillez-vous au même rythme frénétique que Gerhard Steidl?
M. M : Non, pas du tout.
En 2010, vous avez lancé MACK, votre maison d’édition. Cela a-t-il été difficile au début ?
M. M : Cela a été relativement facile, en fait, parce que j’ai eu la chance de commencer avec une longue expérience derrière moi. Et puis, j’avais réuni un grand nombre d’artistes qui voulaient travailler avec moi et avait confiance en mon travail. Ces gens, en plus de l’équipe que j’ai construite, m’ont permis de trouver ma place sur le marché. Le travail que j’avais fait avec Steidl puis avec SteidlMack, une branche que j’avais créée, représentait une certaine saveur, une histoire, un héritage. Je voulais continuer à un degré plus élevé, avoir la liberté de peaufiner la mise au point d’une liste de livres choisis.
Qu’est-ce qui fait un bon livre ?
M. M : Très simplement, un grand livre est un objet où la qualité du travail et la qualité des idées œuvrent ensemble au service de la forme livresque. Mon plus gros problème avec la plupart des livres photos, c’est que ce sont simplement des catalogues d’images. Ils n’ont pas besoin d’exister sous forme de livre ; dans la plupart des cas, c’est simplement par vanité que les projets se terminent ainsi. Pour moi, les plus grands livres sont ceux au sein desquels les idées, les images, et la forme s’unissent pour devenir le travail lui-même. Quand cela devient un élément distinctif de la pratique de l’artiste. Quand le livre devient l’œuvre.
Alors cela demande une relation intime avec l’artiste, des discussions, et du temps…
M. M : Oui, et c’est une des raisons pour lesquelles je ne travaille pas à ce rythme frénétique dont vous parliez tout à l’heure. Le plaisir est dans la fabrication, pas dans la vente ou dans le reste. Ces conversations, cet engagement, sont les choses les plus importantes. L’art tient aux gens qui le font.
Les livres MACK sont plutôt élégants et fabriqués avec des matériaux de choix. Cela vous coûte-t-il plus d’argent et de temps ?
M. M : Je ne sais pas vraiment. Parfois, les projets sont très longs à voir le jour. Simplement parce que vous ne trouvez pas les réponses. C’est une chose que j’ai également apprise de Gerhard. Parfois, le livre n’est juste pas prêt. Mais dans le même temps, nous avons souvent des projets qui peuvent être fait très rapidement. Ça a beaucoup à voir avec les besoins spécifiques d’un projet en particulier et le degré d’urgence pour l’artiste. Nous essayons d’être adaptables et humains, dans le sens où nous n’avons pas de règles. Nous voulons être réactifs, capables de faire quelque chose très vite ou parfois sur deux ans. C’est un plaisir dans les deux cas.
Propos recueillis par Jonas Cuénin.
Lire l’interview intégrale dans la version anglaise du Journal