Michael James O’Brien est un photographe et poète américain. En 1993, il a entamé une collaboration avec l’artiste Matthew Barney, produisant toutes les images fixes de Barney et créant un parallèle photographique à son dessin Restraint 7, Cremaster 1, 2, 4, 5. Ces œuvres ont été exposées au Musée d’Art Moderne à Paris d’octobre 2002-à janvier 2003, au Guggenheim New York en 2003 et dans le monde entier. Son portrait des artistes Gilbert et George est à la National Portrait Gallery à Londres. Il a reçu des commandes de magazines tels que The New Yorker, Departures, Rolling Stone, Financial Times, Elle Décor, The New York Times. L’un des livres de photographies les plus connus d’O’Brien, intitulé Girlfriend; Men, Women & Drag, a été publié par Random House en 1999.
On rappelle souvent que vous avez étudié avec Walker Evans pour recevoir un Masters of Fine Arts à Yale. Que vous a apporté cette expérience?
Elle m’a tout apporté. J’ai eu un séminaire en tête à tête avec lui et nous avons discuté ,par exemple, de poésie symboliste française tout autant que de photographie. Ensuite, il me signalait quelque chose au cœur des photos que je lui montrais et faisait un lien qui m’aidait à comprendre ce que je tentais de faire.
A part Walker Evans, quels autres photographes et artistes ont-ils eu un impact sur votre vision?
J’étais aussi obsédé par Brassai. J’étais à Paris quand il est mort. Le jeudi 12 juillet 1984. J’étais à la Chambre Claire, la librairie photo rue St Sulpice et j’ai vu le gros titre de Libération « LA NUIT EST TOMBEE SUR BRASSAI ». Il avait 85 ans. J’ai encore ce journal. J’ai également été très impressionné et inspiré par le livre Nothing Personal, avec les photographies d’Avedon et le texte de James Baldwin. Mon exemplaire est en ruines parce que je l’amène partout avec moi. Baldwin a écrit: « Dès l’instant où nous manquons de parole les uns envers les autres, la mer nous engouffre et la lumière s’éteint. » Les portraits d’Avedon sont un contrepoint incroyable à son écriture.
Quel est votre method de travail pour la photo de portrait? Comment développez-vous un rapport avec vos sujets et quel type d’atmosphère visez-vous à créer avec eux?
Un rapport est une chose magique. Chaque séance de portrait est une relation. J’essaie de me donner autant de temps que possible, mais c’est plus difficile maintenant à cause des iPhones et d’Instagram. Nous nous attendons à ce que toutes nos activités aillent vite. Robert Lowell a écrit: «Je pense qu’un écrivain devrait profondément penser à lui-même et aux personnes qu’il connaît, et ensuite apporter à son travail toute la technique qu’il maîtrise ».
Dans votre série Portraits d’un Jeune Homme, que vous avez commencée en 2000, des hommes sont photographiés devant un fond noir portant une chemise noire ou rien du tout. Comment avez-vous trouvé vos sujets pour cette série? Quelles ont été vos inspirations et vos motivations dans la création de cette série?
J’ai trouvé mes modèles dans les rues et les boîtes de nuit de New York et de Paris, et récemment Anvers. La plupart du temps, je ne savais rien des personnes que j’ai photographiées jusqu’à la fin de la séance où nous suivions certaines règles: les séances duraient une heure, les vêtements étaient noirs ou noir et blanc ou pas de vêtements; pas de logos, pas de maquillage, pas de stylisme, pas d’assistants , seulement le contact direct qui se développe lorsque le sujet et le photographe collaborent et habitent un espace neutre. L’inspiration était les portraits de Velasquez et El Greco que j’ai vus plusieurs fois au Prado. C’est là que j’ai trouvé mon titre. La motivation était de réduire mes portraits à des éléments fondamentaux pour comprendre la signification du portrait en soi.
Un portrait des artistes et collaborateurs Gilbert et George est dans la collection de la National Portrait Library à Londres. Pouvez-vous décrire votre collaboration avec eux et ce que vous désiriez quand vous avez décidé de photographier ce duo artistique?
Voici mon poème:
G et G très élégants,
Curieusement vêtus
de costumes usés
presque semblables
Gilbert et George
ne sont plus si jeunes.
D’accord, qui l’est …?
Bras dessus,bras dessous
Se frayant lentement un chemin de Shoreditch furieux au café
(ils ont survécu à 3)
où ils prennent leurs repas quotidiens –
sans jamais diverger
du menu amical, ils finissent en hâte
les phrases de chacun
comme s’ils allaient manquer
de temps
ou de thé.
Depuis plus d’une décennie à partir de 1993, vous avez documenté photographiquement les performances de l’artiste Matthew Barney et son travail dans Cremaster Cycles et Drawing Restraint 7. Pouvez-vous nous dire comment votre collaboration a commencé et comment votre travail en tant que photographe de portrait a évolué avec ces projets?
J’avais rencontré Matthew à la fin des années 80 quand il était encore étudiant à Yale et un modèle à temps partiel avec une agence à New York . Je faisais alors beaucoup de photographies de mode commerciales et éditoriales. Nous avons fait quelques campagnes de Ralph Lauren ensemble, puis il a cessé de poser. Je le voyais souvent dans divers clubs newyorkais, comme le club de fétiche situationniste, Jackie 60, quand il faisait des recherches pour Cremaster et que je prenais déjà des photos pour le projet qui deviendrait le livre Girlfriend (Random House 1999). Nous parlions de fétiche, de genre et de costumes, etc., et il m’a proposé de travailler sur Drawing Restraint 7 qui a été photographié à New York dans une voiture et dans un studio. A partir de là, nous avons entamé le cycle principal de Cremaster works: 1, 2, 4 et 5.
Pendant les dix ans où nous avons travaillé sur cette série, la dynamique ainsi que la production ont évolué, d’autant plus que Matthew devenait l’un des artistes les plus importants de la décennie. J’ai abandonné les appareils photo moyen format pour le grand format et j’ai changé moi-même en cours de route. Je travaillais également sur d’autres commandes commerciales. Chaque projet, du concept à l’exposition, prenait de six mois à un an.
Quelles sont vos motivations dans la composition de vos natures mortes compte tenu en particulier de la longue histoire du genre? Comment les construisez-vous et comment les réalisez-vous?
Bien sûr, Vanitas est un thème courant. Lorsque j’ai commencé ces photographies en 2000, l’idée était de suggérer des peintures hollandaises mais de retirer aux objets leurs significations symboliques. J’ai choisi des objets dans les marchés aux puces de New York et Paris et j’y ai ajouté des choses personnelles, une sorte de mélange de références précieuses et de références quotidiennes, le même fonctionnement que la mémoire. Dans une photo de 2000, j’ai pris un faux vase de Delft que j’ai acheté sur Canal Street pour moins de cinq dollars, je l’ai brisé et je l’ai photographié dans un entrepôt poussiéreux abandonné en lumière naturelle. Il s’agit de la perte, du départ et d’une histoire personnelle imaginée.
Vous êtes également un poète publié et le rédacteur en chef du périodique Verbal Abuse. Est-ce que votre photographie influence votre écriture ou vice versa?
Même si mes photographies peuvent être classiques en format et en approche, leurs sujets ne sont pas nécessairement classique: transgenre, clubs sexuels à Paris, etc. Avec mes poèmes, j’essaie de créer un mélange similaire: parfois l’ inspiration vient des poèmes héroïques ou lyriques grecs alors que le sujet peut être un nightclub ou des rencontres faites dans la rue. Et pour moi, les poèmes et les photographies ont ceci en commun: une émotion qui suggère la découverte et la perte, l’absence et la présence, la mémoire. Jack Gilbert a écrit: «le cœur est capable de vivre tant d’expériences, et nous avons si peu de temps».
Vos séries « Diptyques », réalisées à partir de 2014, sont composée d’images que vous avez prises au cours des vingt dernières années. Qu’est-ce qui vous a poussé à regarder vos travaux anciens et à montrer des photos dans un format de diptyque? Qu’apporte ce format à la compréhension de votre travail?
“Les bruits de pas résonnent dans la mémoire
Dans le passage que nous n’avons pas pris, Vers la porte jamais ouverte
Dans la roseraie.”
– T.S. Eliot (Burnt Norton)
Je voulais mêler des portraits et des paysages venant de moments complètement différents de ma vie pour raconter une autre histoire. John Szarkowski a parlé de la combinaison d’images mises côte à côte comme du “troisième effet”. Dans certains cas, il y a une référence sous-jacente ou une inspiration de Cavafy (sur la perte) ou d’Ovide (sur la transformation), comme l’histoire de Hyacinthe, aimé à la fois d’Apollon et de Zéphyr. Sinon, elles sont mentalement reliées par le temps et le lieu. Certaines viennent de la mémoire, d’autres de l’imagination. Les images combinent des photographies analogiques et numériques et reçoivent en Photoshop des superpositions, des tonalités et des juxtapositions qui auraient également été possibles dans la chambre noire.
Comment êtes-vous impliqué dans Designers Against AIDS et quels sont ses objectifs? Est-ce que votre travail contient des commentaires sur la maladie et, dans l’affirmative, lesquels?
J’étais à New York pendant les années 1980 et 1990 et j’ai vécu la dévastation de l’épidémie du Sida. J’ai travaillé bénévolement pendant dix ans avec ActUp et le Terence Higgins Trust à Londres. Les trois séries: Portrait d’un Jeune Homme, Nature Morte et les Nus (grecs) nommés Jeunesse Victorieuse sont tous enracinés dans une tentative de faire face à cette perte.
J’ai écrit:
TIMES SQUARE
Maintenant, les yeux sont plus proches de l’os et lumineux.
Les vies sont plus proches de l’os et lumineuses.
J’entends des voix
Qui disent: ‘Cherche-moi’
mais où?
Cette interview fait partie d’une série menée par la Galerie Holden Luntz,qui est basée à Palm Beach, en Floride.
Entretien réalisé par Kyle Harris
Galerie Holden Luntz
332 Worth Ave
Palm Beach, FL 33480
Etats-Unis
http://www.holdenluntz.com/