Au terme d’un voyage de près de deux ans à travers tout le Mexique, l’exposition collective La mirada invisible (Le regard invisible) s’est installée dans la ville de Santiago de Querétaro, capitale de l’État de Querétaro de Arteaga. Particularité de cet événement : il réunit les travaux d’une quinzaine de photographes internationaux aveugles.
C’est grâce à la volonté de l’« ArteSano Buró Cultural » que l’exposition collective fait une ultime halte à Querétaro. Ce bureau culturel qui conçoit et développe des stratégies culturelles de guérison et de développement personnel, a également mis en place des ateliers de photographie pour personnes aveugles. L’occasion pour Le Journal de la Photographie de s’entretenir avec son directeur, Miguel Ángel Herrera.
Céline Chevallier : Quelle place tient la photographie d’aveugle dans le milieu photographique ?
Miguel Ángel Herrera: L’appareil photographique est une icône de la culture visuelle, aujourd’hui instrument de masse directement lié à l’image et au pouvoir de l’œil. Une espèce de prothèse oculaire. Il est alors courant de penser qu’un aveugle ne puisse pas faire de photographie, puisqu’il ne voit pas. Comme si la capacité à produire des images était conditionnée par le bon fonctionnement oculaire. Comme a dit Eladio Reyes (artiste aveugle cubain), “Le mot image ne vient pas de voir, mais d’imaginer (…)”
C’est ainsi que l’aveugle, selon les propres termes de Benjamín Mayer (directeur de l’Institut d’Etudes Critiques « 17 »), offre sa cécité à la photographie en ce sens qu’il questionne les fondements de sa conception, en allant chercher au delà des frontières que nous donnons généralement aux Arts Visuels. La photographie d’aveugle, d’un autre côté, enrichit la production d’images en incluant, dans son processus, les sens autres que la vue, que sont l’ouïe, le goût, le toucher, l’odorat…
Bien que cela apparaisse comme un terme nouveau, la photographie d’aveugle est présente depuis plus de 20 ans. Son acteur le plus célèbre est le photographe et critique français d’origine lituanienne Evgen Bavčar, qui explore les territoires et les frontières entre les champs artistiques et la cécité. Ici au Mexique, Gerardo Nigenda (décédé en 2010) a été un personnage reconnu et considéré comme pionnier dans la photographie d’aveugle. Son héritage inspire aujourd’hui des efforts comme ceux que nous faisons ici, au sein de l’ArteSano Buró Cultural. Autre acteur de cette scène photographique mexicaine, le critique Benjamín Mayer a attiré l’attention sur ce thème en se consacrant à une réflexion sur les idées et les initiatives culturelles en relation avec « l’incapacité ».
CC : Comment l’ArteSano Buró Cultural travaille-t-il avec la photographie ?
MAH: Voilà 4 ans que l’idée de réaliser un processus de recherche et de formation autour de l’appareil photo et de la cécité nous est venue. Au milieu de l’année 2012, les conditions ont été réunies pour nous permettre de réaliser notre premier atelier de photographie dans notre ville, Santiago de Querétaro. Parallèlement, nous avons demandé à ce que l’exposition collective internationale des photographes aveugles, La mirada invisible, qui tournait au Mexique depuis 2010, passe par Querétaro. Cette magnifique exposition nous permet de conceptualiser le travail de recherche que nous faisons ici à travers les ateliers de photographie pour aveugles, et nous aide aussi à mieux comprendre ce thème et son processus. C’est également un dispositif privilégié et de grande valeur pour la formation de nos propres élèves.
Dans quelques semaines, nous recommencerons les ateliers photographiques avec l’attention portée sur l’approfondissement des possibilités de l’appareil photo et la venue de certains artistes aveugles. Une exposition de moyens formats, fruit d’une année entière de travail de photographes aveugles locaux, sera visible dans les espaces publiques de la ville jusqu’à la mi-2013.
CC : Quel constat faites-vous du rapport des personnes aveugles à la photographie ?
MAH: La pratique photographique par les aveugles présente de multiples possibilités. Certains de nos élèves disent que l’appareil photo offre des yeux nouveaux qui les aident à exprimer ce qu’ils voient. Ce peut être cela, la photographie d’aveugles : la possibilité de communiquer par un moyen jusque là inaccessible, l’image.
La production photographique des artistes aveugles, comme par exemple celle réunie dans La mirada invisible, démontre qu’il est possible de voir sans l’organe oculaire.
Quand je dis « photographes aveugles », je pense à ce qui apparemment est un oxymore, une expression composée de deux concepts opposés de sens qui peuvent générer un troisième concept, une métaphore. Comme on dirait « instant éternel », « tolérance zéro » ou encore « pas perdus », « photographes aveugles » devient une métaphore provocatrice qui invite à une réflexion critique sur l’idée des limites des pratiques artistiques selon les conditions de vie.
La Mirada Invisble
Jusqu’au 1er mars 2013
Musée d’art de Querétaro
Allende 14 sur, Centro Historico
Santiago de Querétaro
Mexique
Informations ArteSano Cultural :
0052 442 146 73 99