Rechercher un article

Mettre au mur les images

Preview

Les éditions Delpire publient un magnifique livre consacré à la carrière du célèbre éditeur Robert Delpire et à ses relations avec ses contributeurs. Nous vous proposons une sélection de textes écrits par lui-même et renfermant anecdotes et petits secrets.

Après avoir mis en page livres et revues, j’ai eu envie, et j’ai trouvé l’occasion, de mettre au mur les images que je voulais montrer. Et j’ai très vite compris qu’à la verticale, les images ne se lisaient pas comme à l’horizontale. Qu’il est naïf de croire qu’une séquence bien équilibrée sur le papier peut être transposée sur la paroi d’une galerie ou d’un musée. Cette nécessaire adaptation à un support n’était pas évidente et demandait réflexion. « Pas difficile, pas amusant », disait mon prof de latin. J’ai donc joué pour m’amuser. Et j’ai beaucoup aimé. Dans des salles mal équipées, mal éclairées, comme étaient souvent les lieux d’exposition il y a quelques décennies.

Fatigué de ce challenge quasi permanent, j’ai rêvé d’avoir un espace à moi, fonctionnel. Le hasard a fait qu’un jour, à Saint-Germain-des-Prés, je suis passé devant la vitrine d’un show-room dont le bail était à céder. Je suis entré. Et j’ai cédé. Ce lieu-là était idéal pour ce que je voulais faire. Il a été la première galerie parisienne vouée à la photo. J’y ai montré bien d’autres choses, des objets d’art populaire, des dessins, des sculptures, mais surtout des photos. Henri Cartier-Bresson et Guy Bourdin, Jacques-Henri Lartigue et Josef Koudelka, etc., et aussi des illustrateurs dont j’ai trouvé le talent mésestimé ; André François, Raymond Savignac, des Américains dont c’était souvent la première exposition en Europe. Le groupe du Push Pin, Milton Glaser, Bob Blechman, Paul Davis. Et Saul Steinberg, le génie absolu.

Pour satisfaire l’envie dont je parlais plus haut, l’épisode du Centre national de la photographie (CNP) a été un cadeau du ciel, ou plutôt de Jack Lang, car c’est grâce à lui que le Centre a occupé le Palais de Tokyo et ses 2 000 mètres carrés où nous avons fait, pendant le temps où j’en ai été le directeur, quelque 150 expositions. Avec tous les moyens nécessaires à une présentation parfaitement adaptée à nos projets monographiques ou thématiques dans leur variété et leur complexité. Je ne le répéterai jamais assez : « Merci, Jack Lang, d’avoir situé ce médium si riche et si versatile qu’est la photo à son plus haut niveau ».

Dès sa création en 1982, le concept du CNP a été défini de façon claire. Il s’agissait de faire connaître la photographie d’expression, dans sa pluralité, à un public aussi large que possible. Cette vocation œcuménique (excusez la cuistrerie) imposait de proposer tous les styles et toutes les époques de ce modeste moyen d’expression. Je me suis efforcé de montrer, en l’exposant, ou en le publiant, que la photographie est d’une extraordinaire diversité malgré la simplicité du procédé. Même si j’espère lui avoir donné un ton, je n’étais pas le CNP, je n’étais libre de mes choix qu’à l’intérieur d’une fonction.

La photographie qu’on appelle conceptuelle – à défaut d’un adjectif mieux adapté à cette catégorie – existe et de plus en plus fort, et internationalement. C’est un fait. Je ne pouvais pas l’éluder.

Contrairement à ce que l’on croit parfois, je suis ouvert à tous les styles de photographie. À condition que la qualité soit indéniable. Personne ne sait ce qui restera, dans cinquante ans, des œuvres qui sont en train de se faire. Nous pataugeons dans le relatif et nous bricolons, avec Cioran, dans l’éphémère.

Souvent la chronologie n’est pas significative pour comprendre le travail d’un photographe. Je préfère montrer des allers-retours dans l’œuvre, jouer sur des enchaînements visuels, avec des séquences.

Il nous est arrivé, bien que ce ne soit pas la destinée élective du Palais de Tokyo, d’accueillir des artistes qui font partie de notre univers et de profiter de l’espace exceptionnel dont nous disposions. André François, mon frère d’armes, à qui nous avons pu offrir un espace digne de son talent. Mais aussi Charles Matton et Boris Zaborov, l’un et l’autre concernés par le médium photographique au point d’y trouver des sources d’inspiration.

Quel est le rapport entre un livre et une exposition ? On pourrait penser qu’il est facile de transposer l’organisation d’une exposition à partir du synopsis réalisé pour le livre auquel elle correspond. C’est faux. La lecture des photographies accrochées sur un mur est totalement différente de celle que l’on a en tournant les pages d’un livre. C’est une question de perspective et de position du visiteur devant ce qui est sur un mur. Mais cela tient aussi au fait qu’une photographie dans un livre est perçue par le lecteur comme une image unique. Dans un musée ou dans une galerie, l’œil du visiteur est sollicité en permanence par des tirages qui sont souvent de dimensions différentes et qu’il peut choisir de regarder dans un ordre différent de celui de la séquence conçue par le curator de l’exposition.

J’ai toujours aimé travailler en équipe, mais en petite équipe. C’est très important. L’équipe du CNP avait très bien compris ce que c’était que les expositions, ou, en tout cas, comment j’avais envie de les faire. Sans esprit didactique. Je ne suis pas didactique du tout. Je ne sais pas, je ne saurais pas enseigner. Je n’ai pas de message à porter. Mais il y a des choses que j’aime faire d’une certaine façon.

C’est sûr que, quand j’ai pris la direction du Centre national de la photographie, j’ai apporté quelque chose qui n’existait sans doute pas. De cette façon-là, dans ce type de musée-là. Le Palais de Tokyo était un lieu merveilleux. On avait le plus grand espace voué à la photographie en Europe, et même au monde. On y a fait vraiment beaucoup de choses. Je pense qu’on a servi la cause de la photographie grâce au Centre et à d’autres personnes bien sûr, des galeristes, des critiques et les photographes eux-mêmes. On a fait en sorte que la photographie soit considérée comme un art à part entière. Avant l’existence du Centre, il était impensable de faire une grande exposition de photographie dans un musée. Alors que, maintenant, il n’y a pas un directeur de musée qui refuse ça, à travers le monde. Je pense qu’on a vraiment été utiles.

Je ne me lasse pas de choisir des photos, de les associer, de les publier, de les accrocher. Mais je n’ai pas tellement envie d’en parler, d’expliquer, de commenter. Dans les débuts de Magnum, Robert Capa, qui avait l’ironie chaleureuse et le verbe haut, me disait souvent : « Tais-toi, tu n’as pas l’âge. Tu parleras quand tu l’auras. » À l’évidence, je ne l’ai toujours pas, l’âge en question. Un attardé, voilà ce que je suis.

Robert Delpire

Robert Delpire est un éditeur, directeur artistique, commissaire d’exposition, fondateur de la maison d’édition éponyme. Il vit et travaille à Paris. 
 

C’est de voir qu’il s’agit…
Publié par les éditions Delpire
35 €

http://www.delpire-editeur.fr/

Merci de vous connecter ou de créer un compte pour lire la suite et accéder aux autres photos.

Installer notre WebApp sur iPhone
Installer notre WebApp sur Android