Dans la première image, un homme supposé mort git sur une table drapée d’un large tissu. Au fil des suivantes, l’âme de la dépouille apparaît sous la forme d’une silhouette, s’extirpe du corps, se lève et passe devant l’objectif, comme par enchantement. Cette photo-séquence intitulée Renaissance et signée de l’artiste américain Duane Michals a été réalisée par double exposition de deux photographies, une technique qui permet de les superposer et de fusionner leur contenu sur une seule et même image. Réalisée dans les années 70, bien avant l’avènement de la technique numérique et du logiciel de retouche Photoshop, cette série rappelle que, si naïvement nous pensions le contraire, la manipulation d’images a existé dès les prémices du médium.
C’est précisément le sujet de la captivante exposition organisée par la conservatrice Mia Fineman au Metropolitan Museum de New York, où figurent plus de deux cents photographies représentant les diverses façons de les altérer. On y trouvera toutes sortes d’images datant de 1840 à 1990 : portraits, scènes posées, paysages, compositions architecturales. Un homme à deux têtes têtes, une photo de groupe avec Hitler dont Joseph Goebbels a disparu, une autre ou Lénine et Staline apparaissent côte à côte, un mur doté d’un regard, un jongleur de têtes, un dirigeable encastré dans l’Empire Building : toutes ont été modifiées par divers procédés après leur réalisation, le plus souvent par montage et par coloration. On découvrira des supercheries, des effets de style et surtout beaucoup d’images dont l’humour reste une composante essentielle.
Il est ici impossible de ne pas tomber dans le débat lié à l’authentique représentation de la réalité, fer de lance de l’invention de la photographie. A-t-on le droit de tricher ? Même si aucun élément n’est supprimé ou ajouté, a-t-on le droit de renforcer une image ? La photographie doit-elle justement toujours être liée à au réel? Autant de questions qui subsistent encore aujourd’hui et auxquelles l’exposition du MET ne saura répondre, même s’il on est tenté d’accorder qu’une photographie sensée représenter un document historique et utilisée comme telle ne peut être déviée de son but premier. Pour autant, on se laissera porter par nombres d’images qui touchent au domaine de l’art, une autre frontière insondable. Lorsque la photographie et sa manipulation permettent les désirs les plus fous de l’imagination humaine, l’émancipation d’un esprit créatif, l’invention, l’exploration de ce qui est irreprésentable, c’est bien l’originalité qui prime. Dans cette pratique, la salle dédiée aux surréalistes ravira ceux pour qui la photographie doit aussi questionner son objectivité et se considérer comme un médium visuel modelable, au même titre que la peinture ou le cinéma.
Jonas Cuénin
Intitulée After Photoshop: Manipulated Photography in the Digital Age, une autre exposition attenante met en lumière plusieurs œuvres réalisées et modifiées via la technologie numérique, et offre une vision de l’évolution des expérimentations du genre.
Faking It: Manipulated Photography Before Photoshop
Jusqu’au 27 janvier 2013
Metropolitan Museum de New York
1000 5th Avenue
New York, NY 10028
(212) 535-7710