Jour de profonde tristesse, autant que de reconnaissance. Journée d’automne triste quand tout le monde, et c’est bien normal et plus que mérité, célèbre l’homme exceptionnel que fut Pierre Bergé.
Bernard Buffet, Yves Saint-Laurent au cœur de tout, Marrakech et Saint Rémy, la mode au plus haut, la célébration de l’art dans l’exigence de l’excellence, le militantisme pour tout ce qui importe et qui est le futur. Mille autres choses. Et tant d’autres dont on ne parlera pas parce qu’il y a eu trop de vies, trop de beautés, de passions pour la presse autant que pour la beauté.
On sait moins, et c’est juste ce que je voudrais évoquer, en disant une fois de plus merci, comment il a aidé et soutenu la photographie.
C’est parti de cette période des années quatre-vingt où, avec Maud Molyneux, Michel Cressole et Gérard Lefort Libération fut le premier quotidien à couvrir les défilés de haute couture. Début d’une complicité quand il ouvrit les portes du back stage aux photographes du quotidien, à commencer par Françoise Huguier.
Cette période culminera avec l’exposition Yves Saint-Laurent au Metropolitan de New York, première exposition muséale d’un couturier vivant, en 1983. Souvenir d’un grand bonheur dans les allées parfumées de muguet et de l’exceptionnel moment d’entretien avec Diana Vreeland que Pierre avait convaincue d’accorder à Libération l’exclusivité de ses déclarations sur l’exposition qu’elle avait conçue. Je l’avais illustrée avec des photographies de Deborah Turbeville, qui m’avait accompagné.
Il y eut, ensuite, l’aventure du numéro spécial consacré à Jean Cocteau, fin 1983. Outre les dessins érotiques de sa collection que Pierre nous confia pour la première fois, c’est lui, mécène de ce numéro que nous avons réalisé avec Michel Cressole, qui demanda à Andy Warhol de réaliser la couverture. Qu’il finança, évidemment. Une belle couverture, interprétation d’un portrait par Gisèle Freund. Jean Cocteau, encore une fidélité de Pierre.
Puis, en 1986, lorsqu’avec Zina Rouabah nous créâmes l’Agence VU, c’est Pierre Bergé et Marcel Lefranc qui nous avancèrent généreusement les sommes nécessaires au démarrage. Ils les capitalisèrent ensuite, sachant qu’ils allaient perdre ce capital. Générosité absolue.
La même qui, par amitié et parce qu’il était conscient des enjeux que pouvait représenter une telle initiative pour des jeunes d’un pays pauvre et en pleine reconstruction lui fit aider, à plusieurs reprises et dès la première année, le festival Photo Phnom Penh dont l’édition 2017, en octobre prochain, lui sera dédiée.
En ce jour de tristesse, un seul mot. Merci Pierre.
Christian Caujolle
Aujourd’hui commissaire indépendant, Christian Caujolle a notamment été directeur de la photographie au journal Libération, a créé l’agence et la galerie VU’, et enseigne à l’École Nationale Supérieure Louis Lumière, à Paris.