Cela faisait un moment que Mélanie Dunea se demandait si son travail n’était pas allé trop loin. La photographe de New York se trouvait à Montréal, au Canada, pour photographier deux chefs, David McMillan et Frédéric Morin qui, en tant qu’équipe culinaire, prenaient le nom de Joe Beef. C’est aussi le nom de leur fameux restaurant situé près du quartier historique d’Atwater market, qui se serait d’ailleurs révélé comme un cadre charmant pour une photo. Dunea, cependant, les a pris en photo dans une gare de triage abandonnée où les deux chefs, appuyés contre un banc de neige, alors qu’une de ces sombres soirées canadiennes prenait forme, s’abreuvaient littéralement d’une eau de vie arrangée par leurs soins.
«Ils m’ont dit qu’ils devaient me montrer comment fabriquer de l’eau de vie», explique Dunea. La courte scène est devenue plus alarmante encore lorsque le jardinier de la gare de triage a pointé le bout de son nez avec son écureuil domestique dans une cage. « Je leur ai dit : cet écureuil devraient se trouver sur ma photo », explique Dunea. «C’était amusant, mais j’étais inquiète, je craignais de me faire prendre avec de l’eau de vie, ce qui est illégal. J’ai cru que je ne serais jamais autorisée à rentrer chez moi. »
Finalement elle est revenue, sans avoir appris les techniques de fabrication de l’eau de vie. Mais Dunea, un photographe de portrait vétéran dotée d’une habitude à se faire des amis, avait l’image qu’elle voulait, et elle l’ajouta à son livre qui vient de paraître, My Last Supper : the Next Course (Rodale, 39,99 $). Il s’agit d’une suite à son Best Seller de 2007 My Last Supper, dans lequel 50 des chefs les plus respectés au monde ont révélé ce qu’ils auraient réalisé pour leur dernier repas sur terre.
«J’ai adoré poser la même question à toutes ces différentes personnes et ensuite, de découvrir ce qu’ils avaient à dire», affirme Dunea. «Il me sembla que cela révélait tant de choses sur leur personne. »
L’idée du premier livre lui est venu d’un projet qu’elle a tourné sur la fin, pour le regretté magazine Gourmet qui a loué ses services pour photographier les portraits de chefs de renom pour une série de cartes à collectionner que les lecteurs pourraient s’approprier – une sorte d’équipe de rêve pour les gourmets. «Cela arriva juste au moment où les chefs devenaient des célébrités de la télévision», explique Dunea. Plus tard, elle se rapprocha d’une douzaine d’éditeurs avec son idée de « la Cène » mais la plupart n’ont pas compris – « ils ont pensé que cela faisait morbide » ajouta Dunea – or, ils ne reconnaissent pas la fascination croissante du public pour les chefs et leur cuisine. En fin de course, les 25000 exemplaires de la première édition furent tous écoulés. Ironiquement, quand Dunea lança sa suite en 2010 ce qu’elle entendit de la plupart des éditeurs se résumait à « la mode des chefs de cuisine fait partie du passé. »
Pas vraiment. Le New York Times a récemment noté que la popularité des recettes de cuisine et des émissions culinaires à la télévision américaine ne montrait aucun signe de relâchement. Les sondages pour la chaîne culinaire de la télévision par câble avaient suivi une tendance haute depuis 2009, et la chaîne avait enregistré son propre record en septembre. Quoi qu’il en soit, de nouvelles recettes et émissions de cuisine font leur apparition partout, y compris un talk-show programmé en journée sur ABC appelé « The Chew. »
« Il y avait tous ces chefs, je n’avais pas pu les inclure dans le premier livre, » ajouta Dunea. Cela comprenait des chefs de célébrité télévisuelle comme Bobby Flay, ainsi que le vénérable gardien de la haute cuisine comme Paul Bocuse et la nouvelle génération de super chefs comme Grant Achatz. Elle photographia l’intégralité du livre en neuf mois. Entre Janvier et Avril 2011, Dunea boucla 85000 miles par avion, entre Paris, Londres, Mexico, Sao Paulo, et d’autres villes pour interviewer et photographier les chefs. En chemin, elle prit une assistante et produisit chaque tirage elle-même.
« Je pense qu’une des raisons pour laquelle j’adore le monde des chefs, c’est que leur travail est tellement semblable au mien », explique Dunea. « Leur travail n’est pas glamour, mais la plupart des gens pensent que c’est glamour. C’est la même chose avec la photographie. La plupart des gens ne réalisent pas à quel point ces deux métiers peuvent être physiques. Les photographes s’harnachent de leur équipement sur le terrain, souvent à l’extérieur dans la chaleur ou sous la pluie, alors que les chefs travaillent de longues heures dans ses cuisines étouffantes, toujours en mouvement. »
Mis à part l’effort physique, Dunea a relevé le défi créatif de photographier 50 chefs sous des angles qui pourraient révéler leur nature individuelle : Après un certain temps, tous ceux qui portent un tablier blanc vont inévitablement commencer à se ressembler, et il y a tellement de moments où vous ne pouvait voir que quelqu’un qui tient un couteau. Donc, il y a Bocuse, pris dans un triptych formé par les portes de son restaurant à Lyon, en France, avec son fils Jérôme, à sa droite et son petit-fils, Petit Paul, le regard levé avec admiration à gauche.
Et il y a le chef John Besh de la Nouvelle-Orléans, debout sur un quai dans un bayou, en Louisiane à 5 heures du matin. «Il faisait tellement chaud. Et il y avait des serpents, » se souvient Dunea.
Et Albert Roux, sirotant distraitement son café du matin à une table du restaurant Gavroche à Londres.
Et Achatz, qui a récemment publié un brillant mémoire sur sa bataille contre le cancer de la langue et ses effets sur son sens du goût. Dunea rejeta la tentation de montrer la langue d’Achatz – « ça serait complètement irrespectueux » dit-elle – et au lieu de le photographier de profil, son plein visage se reflète de façon inégale dans une bande de mylar.
Avec le nouveau livre enfin sorti, Dunea emmène son concept de « la Cène » encore plus loin: elle a lancé un site Web, MyLastSupper.com, qui combine des photos, des recettes et des vidéos (tournées par son mari, le photographe Nigel Parry) mettant en scène Dunea en train de parler avec des chefs de leur dernier repas parfait. Elle sera bientôt l’hôte d’une série d’interviews du dernier souper avec Martha Stewart de Sirius / XM-Radio, une radio par satellite. « Je vais probablement apporter quelques friandises à grignoter pendant que nous discuterons, » dit-elle.
David Schonauer
