Il est toujours difficile de définir ce qu’est le travail d’un artiste. Alors je vais commencer par vous dire tout ce que les photos de Mathilde Biron ne sont pas. Vous n’êtes pas devant des mises en scène hors de prix tels que les tableaux de David La Chapelle ou de Ellen Von Unwerth. Vous n’êtes pas non plus face à un reportage léché grâce à Photoshop sur la vie quotidienne de la jeunesse urbaine ultra connectée qui se retrouve dans des spots de coworking à boire des cocktails de légumes oubliés pour benchmarker leur profil, leur life et leurs likes.
Les silhouettes exposées sont le reflet d’une jeunesse qui redoute les marques déposées par le temps. Pour s’en soustraire, ils font la fête, boivent, fument, s’embrassent, s’enlacent et baisent. Ils posent face à l’objectif de Mathilde Biron pour rappeler que leur corps est bien vivant au milieu des ruines pseudo-technologiques que nous habitons.
Des bords de l’océan aux bars enfumés de la Ville Crépuscule, des chambres d’hôtel « design » aux lourdes décorations des appartements cossus, ce peuple s’agite et Mathilde en témoigne. Mais pour que cette trace demeure, elle renonce aux photos qui n’existent pas : l’image numérique est un puit sans fin dans lequel se noient sens et matière.
Nous n’avons jamais été confronté à autant de nudité censurée. Les poils, les tétons, les plis, tout y passe pour nourrir cette pudeur hypocrite. Ken et Barbie comme seuls modèles dermato et corporel : un cauchemar omniprésent sur notre fil Instagram.
« Une photographie devrait être humide » dit Nobuyoshi Araki. Les photos de Mathilde parlent à nos sens. TOUS nos sens. Elles suent, sentent, sont rugueuses et douces à la fois. Elles ont le goût du sel et du sexe. Elles rappellent à nos oreilles les musiques entêtantes des soirées qui s’étirent jusqu’au matin dans la fumée et dans l’alcool. Ces nuits durant lesquelles nous nous libérons des chaînes de la pudeur. Oui elle est idiote, imbécile et pesante, c’est un rideau qui occulte la réalité qui nous entoure.
Florent Bernades
Mathilde Biron : Idiote pudeur
5-29 février 2020
Jean Louis – La Nuit
66 rue Jean Jacques Rousseau