Massimo Berruti a reçu une mention d’honneur de la bourse W. Eugene Smith le 17 octobre dernier, pour poursuivre un travail dont la consistance de la production existante et la profondeur de l’investigation sont étourdissantes.
Depuis 2008, Massimo Berruti suit au Pakistan le combat désabusé des milices locales contre la vague menaçante des Talibans, la lutte incertaine menée par le peuple pour préserver sa liberté et sa culture encore intacte malgré les conflits qui font rage. Evitant l’esthétique criarde et le traitement partial de la photographie d’actualité, Massimo Berruti se tient de l’autre coté de la barricade et documente avec patience l’impact de la terreur sur la société, les mutations qu’elle inflige à la population. Il choisit le noir et blanc pour son intimité, son intemporalité, rendant implicitement palpable une réalité plus profonde et poignante que des scènes de violence crue. La rugosité dont la nuit lourde imprègne les photographies, les contorsions des corps et des arbres sous la pression d’un chaos étrangement serein, les contrastes brusques révélés par une lumière faible et brulante donnent à ses photographies un caractère mystique. Certaines images évoquent les peintures classiques de la Rome natale du photojournaliste : une femme surplombe son fils mort avec un regard dur embrasé par la lumière, encerclant le visage de l’homme de ses mains réconfortantes à la manière de Madeleine dans les représentations de La Lamentation du Christ. Les yeux et leur expression creusée, inévitables, racontent l’histoire très largement ignorée ou caricaturée par la communauté internationale d’un peuple qui refuse d’être la marionnette d’une puissance extérieure, défendant la stabilité locale avec les moyens précaires dont il dispose. Alors que les médias ont perdu tout intérêt pour le Pakistan maintenant qu’il est en proie à une guerre sourde et invisble, ou l’instant disparaît au profit du temps, Massimo Berruti reste le témoin inflexible et éloquent d’un conflit inachevé.
Laurence Cornet