Nous avons reçu ces images et ce texte très émouvants de Marylise Vigneau photographe documentaire basée entre l’Autriche et le Pakistan.
SAKARTVELO, CHRONIQUE D’UNE RÉSISTANCE
L’année 2024 fut marquée par une montée de l’autoritarisme érodant les démocraties, mais aussi par l’émergence de puissants actes de résistance.
C’est particulièrement vrai en Géorgie — Sakartvelo en Géorgien—, une petite nation avec une longue histoire de lutte contre le colonialisme soviétique et russe.
Depuis que le parti autoritaire et pro-Kremlin « Rêve Géorgien », fondé par l’oligarque Bidzina Ivanishvili, qui a bâti sa fortune en Russie après l’effondrement de l’URSS, est arrivé au pouvoir en 2012, le pays a lentement glissé vers l’autoritarisme.
Les élections législatives du 26 octobre 2024 étaient censées inverser cette tendance. Mais elles furent massivement truquées, et entraînèrent la suspension des négociations d’adhésion à l’Union européenne. La stupeur collective, mêlée de désespoir, qui avait suivi le scrutin, s’est alors radicalement transformée et l’angoisse s’est muée en fureur. Des dizaines de milliers de personnes déferlèrent dans les rues, marchant vers le Parlement pour défendre la démocratie, leur souveraineté et leur avenir européen. À Tbilissi, les murs devinrent le terrain d’un affrontement symbolique : les messages de protestation, effacés chaque jour, réapparaissaient chaque nuit. Des feux d’artifice furent lancés sur le Parlement. Le gouvernement répondit avec férocité, à coup de gaz lacrymogènes, de canons à eau et de matraques. Certains manifestants furent grièvement blessés, perdant parfois un œil. Des dizaines furent arrêtés, et des groupes masqués s’en prirent aux journalistes et aux opposants. Malgré tout, les protestataires ne plièrent pas.
Deux mois plus tard, chaque soir, l’avenue Rustaveli, l’artère principale de Tbilissi, continue de se transformer en un espace vibrant de résistance.
Cet essai est un hommage à un peuple courageux, inventif et résilient, qui refuse de se laisser dicter son destin. À ces « non » à la fois puissants et fragiles, qui échouent parfois, mais toujours façonnent le monde.
J’ai grandi à Paris dans une famille conservatrice et j ai très tôt rêvé d’échappées belles, d’ombres portées et de théâtres plus ardents. Mon éducation fut essentiellement littéraire, mais la photographie est peu à peu devenue mon langage.
La vie et son foisonnement d’histoires à raconter m ’inspirent. La vie dans toute son ingéniosité, âpreté et tendresse.
Je préfère les allusions aux descriptions, l’ontologique à l’ethnologique. Je m ’intéresse à la notion de frontières aussi bien physiques que mentales et aux manières dont celles-ci affectent les libertés.
À la recherche d’un l’équilibre instable, dans une approche à la fois poétique et documentaire, je travaille lentement, revient sur les lieux et privilégie les travaux au long cours.
Marylise Vigneau est une photographe documentaire basée entre l’Autriche et le Pakistan. Elle est représentée par l’agence Anzenberger.
www.marylisevigneau.com
Instagram: @marylisevigneau
LÉGENDES
Image 1 : Un ballon portant un point noir a été abandonné dans un escalier de Tbilissi après une manifestation. Ce point noir est devenu le symbole des élections parlementaires truquées. Dans le contexte politique chargé de la Géorgie, les symboles jouent un rôle essentiel dans la résistance.
Image 2 : Des banderoles arborent les visages des manifestants blessés par la police lors de précédentes manifestations. Les manifestants réclamaient de nouvelles élections et la libération des manifestants emprisonnés une semaine plus tôt.
Image 3 : La structure d’un sapin de Noël a été installée sur le site où la police avait blessé des manifestants antérieurement. Cette photo a été prise depuis l’intérieur de cette structure, alors que les manifestants lançaient de la fumée pour exprimer leur colère.
Image 4 : Un mystérieux Grinch a défilé à travers la foule des manifestants. Quelques jours plus tard, le gouvernement a annoncé une interdiction des masques.
Image 5 : Des activistes ont mis en scène une performance en plaçant une effigie de Bidzina Ivanishvili l’oligarque fondateur du parti Rêve Géorgien dans un cercueil. Ils ont défilé lors d’un faux enterrement avant de le brûler devant le Parlement. Le lendemain, des récits de propagande ont émergé. Certains membres du clergé ont qualifié l’acte de “satanique”.
Image 6 : Des policiers anti-émeute bloque une rue près du Parlement, tandis que des manifestants leur pointent des lasers.
Image 7 : Le 8 décembre, la journaliste Maka Chikhladze, de la chaîne de télévision pro-opposition Pirveli, a été attaquée par plusieurs hommes masqués qui seraient liés au gouvernement géorgien. Elle souffre de contusions cérébrales et a déclaré que, pendant l’attaque, elle avait eu l’impression qu’elle allait mourir. Des hommes masqués ont frappés violemment des manifestants et des journalistes lors de manifestations. Cette agression est la dernière en date d’une inquiétante escalade de la violence à l’encontre des journalistes en Géorgie.
Image 8 : L’une des formes de protestation consistait à frapper sur les grilles métalliques du parlement avec des pierres ou des briques
Image 9 : Un tag sur les murs du parlement
Image 10 : Certains manifestants arboraient des lunettes de protection en prévision des violences policières.
Image 11 : Un des slogans récurrents était « Plus jamais l’URSS »
Image 12 : Deux jeunes filles trouvent un moment de répit à l’intérieur de l’église Saint-Georges, située juste en face du Parlement de Géorgie, l’épicentre des manifestations.
Image 13 : Zviad Maisashvili a été attaqué par une dizaine de policiers. L’incident a été filmé. Les images le montrent allongé sur l’asphalte, impuissant, lorsqu’un des policiers lui donne un coup de talon à la tête tandis qu’un autre le frappe au visage avec son pied. Après cela, Zviad a perdu connaissance. Il a repris connaissance dans un hôpital où l’avait transporté un ami.
Image 14 : Tout au long du mois de décembre, de nombreuses marches ont été organisées, représentant un large éventail de la société : des marches de travailleurs sociaux, de personnes âgées, de viticulteurs, d’écrivains et d’hellénistes. Les danseurs de Khorumi ont également organisé une marche. Le Khorumi est une danse traditionnelle de guerre géorgienne symbolisant l’unité et la détermination.
Image 15 : Un couple s’enlace devant un monument tagué au cœur de Tbilissi. Le message reflète la colère croissante envers la Russie et le parti Rêve Géorgien, proche du Kremlin, accusé d’avoir truqué les élections du 26 octobre pour rester au pouvoir. C’est clairement un message adressé à la Russie.