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Marylise Vigneau : Article 19

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L’article 19 de la Constitution de la République Islamique du Pakistan affirme :

“Tout citoyen a droit à la liberté de parole et d’opinion, parallèlement à la liberté de la presse, sous la seule réserve de restrictions raisonnables établies par la loi et ayant pour objet : le développement et la gloire de l’islam ; l’intégrité, la défense et la sécurité du pays ou de toutes ses composantes ; la préservation de relations amicales avec les états étrangers, de l’ordre public, de la décence et de la moralité ; ainsi que la prévention de tout outrage aux tribunaux, délit ou incitation à commettre un délit. »

Au Pakistan ces restrictions « raisonnables » sont utilisées contre les minorités, les journalistes, les défenseurs des droits de l’homme, les athées, les homosexuels, etc. Elles sont interprétées comme une liberté de mépriser et de discriminer des croyances, des perceptions, des sexualités ou des opinions différentes et produisent de facto des parias. Le statu quo, les alliances régnantes et la soi-disant décence érigent un mur autour de ces parias fabriqués et les réduisent au silence. Ces dernières années, l’application des lois sur le blasphème et la diffamation au Pakistan demeure une préoccupation majeure, aggravée par de nouvelles lois visant à étendre les contrôles et à restreindre la liberté d’expression en ligne. Assassinats et attaques contre des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme sont endémiques et se caractérisent par une impunité persistante.

Cette série est constituée de portraits de personnes vivant à Lahore et dont la façon de penser, de vivre et d’aimer se heurte frontalement au roman national. Des gens dont la vie est un combat parce qu’ils doivent dissimuler ce qu’ils sont sous peine de mort sociale ou même, parfois, de mort physique. Qui oscillent constamment entre espoir et désespérance.

Après de longues conversations, ces images ont été mises en scène pour garantir la sécurité, et donc l’anonymat des personnes photographiées.

Chacune est nommée « Noor », un prénom qui signifie “lumière” et est porté indifféremment par les hommes et les femmes.

Ce travail est dédié à la mémoire d’Asma Jahangir, avocate pakistanaise qui a consacré sa vie à défendre les minorités et est morte à Lahore le 10 février 2018.

Marylise Vigneau

http://www.marylisevigneau.com

 

LÉGENDES DÉTAILLÉES

1- Noor est une Ahmadie, membre d’une minorité religieuse persécutée se réclamant de l’Islam. Elle sait depuis l’enfance qu’elle doit dissimuler cette part de son identité pour se soustraire aux discriminations et aux violences verbales. Elle séchait l’école lorsque le chapitre sur les Ahmadis était au programme.

Le Pakistan est le seul pays à avoir officiellement déclaré les Ahmadis non musulmans et à les persécuter méthodiquement.

Noor est une jeune femme financièrement et mentalement indépendante. Elle profite désormais d’une liberté chèrement conquise et dont elle est fière.

 

2- Noor fut un très bel enfant doté d’une peau claire et d’immenses yeux. Cela en fit bientôt une victime. Lorsqu’il eu 6 ans, son oncle le viola. Un peu plus tard un cousin le força à pratiquer des fellations. Il était trop petit et trop sidéré pour se plaindre et ces abus continuèrent tout au long de son enfance et de son adolescence.

Noor se considère comme homosexuel et profite « du triste privilège d’être un homme dans une société qui dénie aux femmes presque toute forme de vie indépendante ».

Il pose nu, voilé seulement d’une « Sehra » l’ornement traditionnel que revêtent les hommes lors de leur mariage. Ils l’enlèvent au moment de « prendre possession » de leur femme.

« C’était suffoquant » dit-il

 

3- Noor fut un enfant brillant et curieux. Adolescent, l’omniprésence d’une religion qui contredisait tous ses élans le suffoqua. Sa vivacité, son éveil sexuel, le détournèrent d’un islam vindicatif qui appelait “idoles » les sculptures qu’il aimait et prônait leur destruction. Il est devenu athée sans doutes ni regrets. Il est donc aussi un apostat et cela le rend «wajib-ul-qatal» (méritant d’être tué) selon certains extrémistes. Il sait qu’annoncer son apostasie signifie risquer d’être assassiné. Epargné par les tribunaux, une foule fanatique n’aurait pas pitié de lui. Il est ainsi photographié dans un linceul, au-dessus d’une ville qu’il aime et qu’il regrette de voir sombrer dans la corruption, l’intolérance religieuse et l’indifférence sociale.

 

4- Ces deux amants ont 37 ans d’écart et on traversé bien des épreuves pour pouvoir vivre ensemble. Après un Mariage secret pour déjouer l’hostilité des parents delà jeune femme.

Lui exhale une sensualité dense et esprit aigu. Il est écrivain Il abhorre les religions et la façon dont les gens sabotent leur vie en se censurant.

Elle, jeune femme gracile et lucide, nous conte leur histoire :

« Enfant dans une famille religieuse patriarcale archétypale, je ressentais une absence. Cette absence a désormais un nom : c’est la rationalité.

J’aimai tout de suite la manière implacable dont il déconstruisait le roman national, exposait les mensonges officiels et les hypocrisies sociales. Sa pensée ne me quitta plus.

J’avais 22 ans mais je savais qu’il était l’homme avec qui je voulais vivre et je le lui dis. Nous nous mariâmes secrètement. Je savais ma famille hostile car persuadée qu’un mariage d’amour est une source de honte. Je quittais la maison familiale sans informer personne mais ils me traquèrent, m’enlevèrent et me séquestrèrent. Cela dura 16 jours et la seule raison qui les empêcha de me tuer est la méconnaissance de notre mariage.

Grâce à mon ordinateur dont ils ignoraient l’existence je pus alerter mon cher Noor. Aidé par un ami avocat, il intenta un procès contre ma famille et le gagna. »

 

5- Noor est un artiste, un homosexuel et un athée.

Enfant, il a perdu son père militaire tué près de la frontière avec l’Inde et déclaré «shaheed». Ce mot signifie « martyr ». Dans la mythologie musulmane, un «shaheed» est immortel. A la mort de son père, Noor fut informé qu’il était inutile de le pleurer, car « il était vivant pour l’éternité », déclaration troublante pour un enfant. Le souvenir de ces tortures mentales aidera Noor à répudier la foi dans laquelle il fut élevé.

Adolescent, Noor tomba éperdument amoureux d’un garçon et une histoire douloureuse commença. Il n’a pas d’amant. « Je me refuse à être le sale petit secret de quelqu’un” dit-il.

 

6- Noor était membre de Jamat-ud Dawah, bras politique de Lashkar-e-Taiba, une organisation terroriste islamique opérant depuis le Pakistan. Il était passionné et tenait un blog. Un jour, il du écrire un article sur les défis posés à l’Islam par l’athéisme. Il lu alors le Coran de manière objective pour la première fois. L’affirmation que le Coran ne devait jamais être questionné ou amendé lui sembla brusquement étrange. Il se sentit coincé dans une impasse intellectuelle et dressa une liste des versets qu’il trouvait soudain incontestablement discutables. Terrifié, il se sentait devenir apostat. «Ce fut brutal, le matin je priais avec ferveur et le soir, j’avais perdu la foi ».

Après une phase de sidération, il embrassa ces nouveaux paramètres et se compare à un oiseau échappé de sa cage. Depuis il a étudié la médecine et a décidé de devenir psychiatre.

 

7- Noor est l’épouse d’un homme qu’elle n’avait jamais vu avant leur mariage. Ce jour là, elle était bien sûr vierge. Elle ignorait tout de ce qu’il est convenu d’appeler les choses de la vie et la sexualité lui était un continent sombre peuplé d’ombres inquiétantes. Sa défloration pris une semaine. Elle sait désormais qu’elle eu la chance de ne pas être violée pendant sa nuit de noces comme cela arrive trop souvent. Aujourd’hui, elle aime son mari corps et âme.

Poser nue fut pour elle malgré sa timidité, une célébration de la vie et de l’amour.

 

8- Noor est un jeune homme doté d’un grand désir de vivre et d’un solide sens de l’humour. Il a grandi près de Peshawar dans une famille pachtoune traditionnelle dont l’existence est dirigée par l’islam et l’ancien code d’honneur pachtouwali. Noor est parti faire ses études au National College of Art à Lahore. Il l’a fait sans l’approbation d’une famille qui ne partage ni ne comprend sa passion pour l’art.

Il vit dans une petite chambre et reçoit avec beaucoup d’enthousiasme les rares voyageurs étrangers qui passent par Lahore.

 

9- Noor est une infatigable militante.

Elle organise des manifestations contre les terribles événements qui ne cessent d’arriver. Contre le pillage d’un quartier chrétien, contre les discriminations sociales, sexuelles et religieuses, contre les lois sur le blasphème, et récemment, en mémoire de Mashal Khan lynché par la foule en colère de ses camarades dans son université, à cause de fausses allégations de publication de contenu blasphématoire en ligne.

Elle a reçu plusieurs menaces de mort et passé des nuits en garde à vue. Parfois elle traverse la nuit en voiture et s’en va tagger les murs de slogans en faveur de la paix.

 

10- En 1977, sous la dictature militaire du général Zia-ul-Haq, le gouvernement pakistanais a promulgué les «ordonnances Hudood» pour mettre la loi pakistanaise en conformité avec les injonctions de l’Islam, ce qui signifie que les relations sexuelles hors mariage sont devenues illégales.

Cette photo a été prise sur le toit d’un jeune couple. Ils se sont mariés il y a un an mais vivaient ensemble secrètement depuis trois ans. Ils appartiennent à deux sectes différentes de l’Islam et ont du affronter préjugés et hostilité de la part de leurs familles.

 

11- Noor est le petit-fils de deux figures légendes du cinéma pakistanais.

Il pose dans la piscine vide d’une maison qui sera bientôt détruite et remplacée par un centre commercial.

« J’ai peur de leur peur car elle les fait agir de manière irrationnelle », dit-il évoquant l’état d’esprit dominant.

 

12- Des amis sont rassemblés autour d’un feu. Ils viennent d’horizons différents mais ont quelque chose en commun: ils échappé à la subjugation religieuse. Ils appartiennent à un groupe secret d’athéistes et d’agnostiques sur les réseaux sociaux.

Tous questionnent les normes sociales qui leur furent imposées dès le plus jeune âge. Ils vivent dans un schisme mental et sont passés par une phase d’aliénation et d’extrême solitude. Les réseaux sociaux leur ont permis de rencontrer des personnes partageant les mêmes vertiges et de briser un isolement douloureux. Le groupe croît et se rencontre régulièrement. Des couples sont nés.

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