Historien, critique, commissaire d’expostion mais aussi photographe, Gerry Badger est l’auteur du désormais célèbre Collecting Photography (2003) et de nombreuses monographies, notament sur Stephen Shore ou encore Chris Killip. Cela fait maintenant plus de dix ans que ce dernier œuvre aux côtés de Martin Parr pour constituer ce qui est devenue une référence en matière de livres photo, avec pas moins de 700 titres recensés pour l’ensemble de la trilogie. Prétextant de la sortie du troisième Livre de photographies : une histoire, paru aux éditions Phaidon, nous avons eu envie de revenir sur la genèse de ce projet ambitieux. A l’occasion de la signature du livre organisée au BAL samedi dernier, nous en avons profité pour demander à Gerry Badger de nous parler de sa collaboration avec le photographe britannique.
C’est Martin Parr qui, le premier, eut l’idée d’écrire une histoire du livre de photographies. Gerry Badger, qui possédait également sa propre collection de livres, lui suggera d’y contribuer. Examinant un à un les ouvrages dispersés sur sol de la forteresse du photographe à Bristol, les deux amis ont discuté des longues heures sur le choix des livres qu’ils voulaient intégrer. Cette fois, « les choses étaient différentes » nous dit-il, car il y avait tout ceux qui n’avaient bien évidemment pas pu être insérés aux précédents volumes. Ensuite, il a fallu trancher car « nous avions tous deux cinq livres chacun qui nous tenaient à cœur de voir figurer au catalogue. » Le débat fut long mais le résultat, malgré quelques désaccords, fut toujours le fruit d’une décision commune.
Cherchant à trouver ce qui permettrait de poursuivre les deux premiers tomes, c’est dans le prolongement du chapitre 9 du volume II que l’idée prit forme. « Nous avions déjà écrit l’histoire, il nous fallait donc trouver une façon nouvelle d’aborder le dernier acte, tout en conservant le lien avec les précédents. » Instrumentalisé en manifeste, le chapitre « de la vie moderne » permettait de traiter de la vie actuelle et des sujets qui préoccupent aujourd’hui les photographes. Le dernier chapitre fait état de la pratique photographique à l’heure d’Internet et de sa « personnalisation » ; idée que l’on retrouve d’un bout à l’autre de l’ouvrage. « Quand vous remontez en arrière jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, l’objectif d’un photographe était de capter de façon la plus objective qu’il soit ce que ses yeux lui accordaient de voir. De nos jours, la photographie tient plus du journal intime que du simple statut d’observateur, et les réseaux sociaux ont développé une imagerie se rapprochant davantage de la fiction que du fait observé. Même à Bagdad, on a vu des selfies ! », ironise-t-il. Pour illustrer son propos, l’historien reprend l’idée énoncé par John Szarkowski à propos d’une exposition qu’il présentait au Moma (Nouveaux Documents) en 1967 : « Ces dix dernières années, une nouvelle génération de photographes documentaires (Diane Arbus, Lee Frielander) a donné à ce mode une finalité plus personnelle. Leur objectif n’était pas de transformer la vie mais bien de la connaître. » Surgit alors le règne de la fiction et du récit de soi, que les deux auteurs tentent d’interroger ici, quand ils ne « s’insurgent » pas contre elle. A ce sujet, lorsqu’on lui demande d’expliquer sa vision de « la photographie pour la photographie », Gerry Badger parle de ce qui doit être visible en photographie. Selon lui, les ouvrages de Sophie Calle qui traitent toujours de sujets très personnels, racontent à chaque fois quelque chose d’universel. : « Les gens doivent trouver le moyen de rendre cela apparent même si le livre, avec ses textes et son design, favorise cette narration de l’intime. »
Décomplexé, Gerry Badger avoue passer probablement à côté de quantité de livres et ajoute : « Ce n’est pas une science ! On laisse sans cesse des choses sur le bas côté. C’est le hasard et la coïncidence de nos recherches qui sont à l’origine du fondement de la collection. D’autant qu’il existe encore des livres dont on ignore jusqu’à l’existence même ». Nul doute que le dénicheur qu’il est renonce à la quête. Ses prochains chantiers concernent les livres de protestation. « Vous savez, on me demande déjà d’écrire le volume IV ! ». Mais Gerry Badger tient pour secret la suite. Avant de partir, nous lui avons demandé de nous citer cinq livres figurant à son panthéon. The Americans, de Robert Frank, Americans Photographs, de Walker Evans, For a language to come, de Takuma Nakahira, La Fille du Docteur, de Sophie Calle et enfin New York, de William Klein. « Mais, s’amuse-t-il, il en existe une toute autre pour les jours ordinaires. »