Italie, Sicile, Syrie, Turquie, Liban, Algérie, Grèce, Tunisie, Lybie, Maroc, Israël, France, Albanie, Palestine, Josef Koudelka a parcouru presque tous les pays de la Méditerranée, région à l’honneur de la programmation de Marseille 2013 Capitale Européenne de la Culture. Il la représente comme le fait l’histoire, comme le berceau de la civilisation, et l’on se sent minuscule face à autant d’années contenues dans la pierre. Ces monuments antiques, bien que souvent dévastés, donnent le vertige. C’est leur âge, envisagé à l’échelle humaine, qui provoque l’étourdissement. Le temps les a polis et sur certains sites, comme celui d’Aezani, en Turquie, il est difficile distinguer l’artefact des strates naturelles, les pierres se mélangent en reproduisant majestueusement sur des milliers d’années le cycle de la vie. Cette grandeur insuffle aux images un caractère mystique, quasiment religieux. La série est une délicate ode au monde d’un homme vieillissant qui l’a vu s’effriter. Les colonnes, jadis dressées jusqu’au ciel, intimidantes, ont l’allure d’un géant effondré. Josef Koudelka propose un inventaire actualisé des Sept Merveilles du monde, au colosse de Rhodes s’ajoute l’Hercule du temple de Jabal al-Qal’a, en Jordanie. Sa main gigantesque, unique vestige du héros romain, semble agripper le sol dans un effort résigné de rester sur Terre. On pense à Atlas, condamné à porter la voute céleste sur ses épaules. A Italica, en Espagne, c’est une autre image, celle du labyrinthe, de Thésée. Au fil des images, c’est toute la mythologie gréco-romaine qui prend vit et toute l’histoire de l’art qui défile a la vue des ces dieux antiques et autres natures mortes. Certaines semblent minutieusement composées par le photographe, chaque objet placé selon une symétrie harmonieuse. Quelques végétaux s’invitent à l’occasion dans le décor et les lettres gravées ici et la semblent transmettre un message crypté, atemporel. Le temps est pourtant présent dans toute son immensité dans ces images. Intrinsèquement lié à l’espace, il fait perdre la notion d’échelle. Ou bien est-ce à cause du format panoramique des photographies ou de la démesure de ces architectures d’un autre temps ? Sagalassos, en Turquie, évoque une pile de dominos effondré et Timgad, en Algérie, ressemble à un plateau d’échecs, l’arche de Trajan trônant comme un roi démuni de son armée à la fin d’une partie. Echec et mat. Le tronçon d’une colonne antique à Sardes, en Turquie, évoque ironiquement l’engrenage des Temps Modernes, de Chaplin. La référence nous rappelle que les conflits politiques ont probablement davantage ravagé le monde que l’érosion et le passage lent du temps. L’immense héritage architectural est voué a la ruine, à la disparition, par le seul fait d’un temps bref, celui de la rage des hommes. Il suffit de voir comment la guerre actuelle a mis Alep en pièces. Une image semble évoquer ce deuil, cette prière pour le monde, celle du site de Sabratha, en Lybie, dont les tranchées dessinent une croix dans le sol comme s’il s’agissait d’un tombeau. Celui, métaphorique, de toute construction humaine.
Laurence Cornet
EXPOSITION
« Josef Koudelka : Vestiges 1991-2012 »
du 12 janvier au 15 avril 2013
Centre de la Vieille Charité
2 Rue de la Charité
13002 Marseille
France
Tél. : +33 4 91 14 58 80