On fêtait à Marrakech en ce début de Juin 2011, le dixième anniversaire du classement par l’UNESCO de la place Jemaa el Fna au patrimoine mondial immatériel de l’humanité en présence de Frédéric Mitterrand, ministre français de la culture. Le combat pour son classement avait été mené par le grand écrivain espagnol Juan Goytisolo, fasciné par ce lieu où jour après jour se bouscule une foule qui vient écouter les conteurs, se faire peur avec les charmeurs de serpents et dresseurs de singes.
Vendeurs de plantes médicinales, folkloriques porteurs d’eau en grande tenue, danseurs travestis en femmes, voyants, acrobates, jongleurs cohabitent dans un brouhaha assourdissant. Cris, multitudes de sons qu’arrivent seuls à dominer les claquements secs, répétitifs des « qraqech » ( crotales métalliques) des musiciens gnaouas. Un monde coloré, extravagant noyé dans les volutes de fumée des restaurants en plein air.
Cette place, devenue célèbre dans le monde entier, servit de décor à de nombreux films dont le début de L’homme qui en savait trop d’Alfred Hitchcok. C’est cette place emblématique que choisirent des terroristes pour commettre leur sanglant attentat à la terrasse de L’Argana, un restaurant populaire, certains que l’impact serait mondial. Mais on ne détruit pas aussi facilement les symboles, on ne raye pas de la carte un lieu chargé d’histoire et qui est une mémoire culturelle du grand sud marocain (On estime les origines de la place à la fondation même de la ville de Marrakech vers 1070). Les saltimbanques et autres conteurs ont donc tout naturellement repris possession de Jemaa el Fna.
Cet anniversaire fut l’occasion pour la Maison de la Photographie de Marrakech d’exposer sur la place elle-même, dans les locaux désaffectés d’une banque, des documents photographiques exceptionnels datés de 1870 à 1950. Clichés anonymes parfois ou signés Bertrand, Felix, Blin, Flandrin, Garaud. Ceux-ci laissèrent ainsi des trésors qui constituent la mémoire visuelle du Maroc. La place Jemaa el Fna apparaît déjà, dans ces images noir et blanc ou sépia, grouillante, délirante, un peu effrayante, peuplée de visages aux regards brûlants. Un espace ouvert, plus populaire, un peu cour des miracles…. sans touristes. Une atmosphère envoûtante que traduit bien une alternance de plans larges, de gros plans ou bien la restitution de scènes. Un magnifique travail d’anthropologues mais aussi un talent certain de photographes.
Paul Alessandrini
Cahier « Place Jemaa el Fna »
Edité par la Maison de la Photographie, Marrakech
46 rue Souk Ahal Fès, Marrakech
Quartier Ben Youssef