C’est par un heureux hasard que j’ai connu le poème Evangeline. Au début de l’année 2012, je parcourais les œuvres complètes de Longfellow en quête d’inspiration pour un projet qui n’avait en apparence rien à voir avec son lieu de naissance et ma ville adoptive, Portland, dans le Maine. Je venais d’être accepté en résidence d’artiste en Nouvelle Écosse et voulais photographier les paysages de l’estran, mais mon voyage devait prendre une tournure bien plus ambitieuse.
Je ne connaissais pas du tout Evangeline, ni l’histoire de l’expulsion des Acadiens – événement historique dont s’est inspiré le poète. Je suis tombé par hasard sur cette épopée qui m’a immédiatement captivé. Je me suis mis à étudier la déportation, puis à lire le poème encore et encore. Je suis allé photographier la province canadienne en juin. Les mots de Longfellow résonnaient à mon oreille. J’ai voulu inventer une représentation visuelle moderne de l’Acadie décrite par Longfellow en 1847, ce qui m’a amené à revenir dans la région à quatre reprises en quatre ans. Le poète n’est jamais venu en Nouvelle Écosse, mais ses descriptions saisissantes du paysage n’auraient pas pu être plus précises. Le sentiment de perte et de désolation qu’évoque son poème hante encore aujourd’hui la région.
La Nouvelle Écosse est l’une des trois provinces de l’Est du Canada, dites Maritimes. C’est une péninsule étroite, presque entièrement entourée d’eau. La plupart des photos de ce livre ont été prises le long de la route qu’on appelle « The Evangeline Trail », dont le nom dit la portée du poème de Longfellow pour l’histoire de ce lieu. La route longe la côte Ouest depuis Yarmouth, au Sud, jusqu’au site sacré de Grand-Pré, sur la côte de Minas Basin, portion de la Baie de Fundy. Le plus grand coefficient de marée du monde transforme ici le paysage côtier, exposant puis recouvrant deux fois par jour de grandes étendues de fond de mer, comme si tout l’océan inhalait et exhalait à l’échelle d’une demie journée.
Les riches vallées et les plaines sont largement cultivées, mais elles semblent toujours sauvages. Les aigles chassent depuis les pins côtiers, les phoques paressent au soleil sur les rochers, et le vent sait être implacable. Les bancs de brume rôdent autour des caps d’un vert luxuriant, rampent dans les criques et se répandent autour des appartements. Nichée dans ce décor, une société austère, descendante des colons acadiens autorisés à revenir d’exil à la fin du 18e siècle, a appris à vivre en harmonie avec cette nature difficile. La vie n’a jamais été facile pour les Acadiens. Ils ont lutté pour obtenir tout ce qu’ils possèdent. Mais de nos jours, celui qui voyage en Nouvelle Écosse comprend que le nombre de propriétés inoccupées et le déclin du commerce dans certaines zones impliquent qu’une fois de plus des forces hors de contrôle font peser un poids sur cette enclave paisible.
Evangeline s’inspire d’une histoire vraie, qui parle de perte et de déplacement. Le poème évoque un village prospère élevé sur un paysage inhospitalier par un groupe de colons laborieux qui disparaît suite à un événement brutal. Une histoire similaire se déroule aujourd’hui peu à peu le long de la côte Ouest. De nombreuses communautés fièrement bâties par une génération qui s’est unie il y a un siècle pour récupérer sa terre d’origine perdent de nouveau leurs habitants, les difficultés économiques paralysant la croissance. Le récit visuel que j’ai construit montre que ces conditions ont à nouveau éloigné les Acadiens de leur terre d’origine. Comparé à celui de l’Expulsion, l’exode a été progressif, mais pas moins perturbant. Les maisons victoriennes délabrées, les ports de pêche commerciale désertés et les paysages primitifs enchanteurs forment les vers de mon conte moderne de l’Acadie.
Mark Marchesi
Mark Marchesi, Evangeline
Publié par Daylight Books
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