Décembre 2011, Las Vegas
Je remonte le temps, retour sur les origines d’un art vivant, le strip tease et la rencontre avec ses icônes.
Du “strip joint”, l’inspiration première de cette série, au théâtre Burlesque, je me projette avec ces femmes dans l’histoire du strip tease de Roosevelt à Reagan, de la mafia à la guerre du Vietnam, tout comme le blues et le rockn’roll, le strip tease fait parti du patrimoine américain. Un essai photo et des heures d’entretiens.
Je découvre la candeur et la décadence d’un art dont l’âge d’or s’est dilué au fil du temps dans l’industrie du sexe mais qui reste incarné par ses interprètes, ses témoins uniques: reines de l’effeuillage et de la séduction, gens du voyage mais toujours femme, j’observe aujourd’hui dans le viseur de ma caméra une espèce féminine en voie de disparition.
Ce travail à commencé à Las Vegas en decembre 2011, une ville ou les show girls ne veulent surtout pas être associées au strip teaseuses, vanité, discrimination féminine, « the show must go on ». Le strip tease à toujours eu mauvaise réputation, en marge un autre langage corporel se développe, une attitude, un savoir faire, la personnalité de chacune à fleur de peau.
Dans la bonne société on disait ecdysiaste. Le mot savant. Du grec ecdysis. La mue, comme celle des serpents, ou des insectes. J’ai toujours vu le strip tease comme une forme d’art, une catharsis, transe collective ou religion, un acte ou l’expression de la femme prend forme sous nos yeux, montrant force et vulnérabilité sans jamais la moindre soumission. Être « entrepreneur » n’est pas un vain mot en Amérique: de la conquête de son corps à son instrumentalisation, ces femmes ont vécu leur indépendance sexuelle et économique en marge des conventions de leur époque mais en payant souvent le prix fort.
Malgré le succès, l’oubli, dépendances, solitude, une vie de nomade, sans retraite et qui souvent se termine dans la pauvreté, ces femmes se sont toujours battues, pour rester belles dans les tourments du vieillissement et dignes face aux difficultés de la vie.
Ces femmes rencontrées à travers l’Amérique sont âgées de 60 à 95 ans, un défi dans une société obsédée par les rides.
Ensemble nous avons rejoué une scène du film de leur vie et grâce à elles j’ai retrouvé un peu de mon enfance, comme si la construction d’une femme passait avant tout par ces rituels de séduction que l’on découvre petite fille, ces gestes si intimes qui façonnent notre identité tout au long de notre vie.
A travers ces artistes je rends aussi hommage à ma mère, à ma grand-mère ( indigne ) et à la femme que je deviendrai à ces âges là. Quand l’enveloppe physique se défait notre âme de jeune fille reste intacte. Quelque chose d’autre à jailli, un état de grâce.
Au delà du strip tease une autre question se pause à travers ce travail, plus scandaleuse encore que « l’effeuillage », celle de la représentation de la femme vieillissante: comment montrer cet outil qui fut l’objet de tous les phantasmes masculins ?
Ce « vieux corps » abîmé, fatigué, ménopausé mais non moins ludique et érotique, un corps affranchi, insolent, une présence avant tout, qui transcende le temps et l’image.
Marie Baronnet
Biographie
J’ai d’abord étudié la photographie à l’université de Paris 8 puis à l’école des Beaux-Arts de Paris en photo et en multimédia.
J’ai commencé en utilisant la photographie comme médium artistique, exposant mon travail en galerie, au musée d’art moderne de Paris, et aussi en Amérique dans une exposition collective au côté d’artistes féministes comme Cindy Sherman, Nancy Spero, Jenny Holzer etc …
Je reçois une bourse des Beaux Arts de Paris qui me permet d’étudier à Cal Arts à Los Angeles, en photographie et « critical studies ».
Mon travail photo se poursuit sous forme de reportage à la fois artistique et documentaire et utilisant quand c’est nécessaire le son et la video.
Afin de soutenir mes projets photos je travaille régulièrement dans le cinema, aujourd’hui comme photographe de plateau ainsi que pour la presse: Sunday London Times, Newsweek, L’Equipe, Le Monde, Geo, Liberation, Citizen K, City Life etc …
Photographe bi-continentale, j’ai développé récemment une série de reportages en Amérique, toujours sur le même mode d’investigation avec de longs entretiens, à la frontière mexicaine et américaine, downtown Las Vegas, à Ciudad Juarez au Mexique etc … Je poursuis en parallèle ce travail exhaustif sur les « Légendes » pour un livre à paraître fin 2013.