Depuis notre premier portfolio de toilettes, nous recevons chaque semaine 3 ou 4 portfolios sur ce sujet. Nous avons décidé d’en faire une série !
UN P’TIT COIN D’PARADIS
écrit par Marco Volken et publié en 2020 dans la revue l’Alpe.
En cas de besoin, un simple buisson peut faire l’affaire. Mais au-dessus de l’étage forestier, c’est en vain qu’on en chercherait un. Même dans les bois, il est préférable que les besoins naturels se concentrent dans un seul et même endroit, épargnant par là les environs. C’est ainsi que la plupart des hameaux et chalets d’alpage, des refuges et des bivouacs, ont élu un domicile fixe pour le produit final de notre… digestion.
À vrai dire, un arbre ou un bloc de pierres pourraient suffire. Mais la vue de nos traces pourtant naturelles nous met mal à l’aise. Elles doivent disparaître de notre champ de vision et (vite !) dans un trou, s’il-vous-plaît. S’ajoute à cela qu’au moment de se soulager, nous préférons rester discrets, même dans la solitude la plus totale d’un désert alpin. Nos affaires intimes ont presque toujours lieu dans un endroit protégé.
Sûr qu’en cas de pluie ou de vent, un toit au-dessus de la tête et quelques murs latéraux sont les bienvenus. Tout comme un siège. Parfois, à l’intérieur, on trouve des images de calendrier : un vase avec des fleurs séchées ou bien encore un cœur gravé sur la porte. Si bien que l’on finit par… s’attarder plus que nécessaire !
Les images de cette série ne résultent aucunement d’une intention de départ. Elles sont le fruit de découvertes fortuites en pleine nature, souvent dans les endroits les plus improbables. Mes premiers clichés sont ainsi nés en passant. Au fil des années, une collection s’est constituée. Elle a fini par déboucher sur une première étude de terrain puis une exploration systématique de certains coins de territoire.
Près de dix mille photos ont ainsi vu le jour ! Elles ont pour but de documenter dans toute leur diversité ces endroits souvent méprisés ou ignorés. Certaines de ces constructions ont disparu depuis ou ne sont quasiment plus utilisées. D’autres continuent de fonctionner pour la plus grande satisfaction de leurs utilisateurs. Toutes auraient sûrement bien des choses intéressantes à nous raconter.
Quelle conclusion faut-il tirer de cette étude de terrain parfaitement non-scientifique ? De toute évidence, cette architecture à petite échelle jouit d’une liberté qu’elle n’a plus quand elle s’attaque à des édifices plus imposants. Une porte ouverte sur l’anarchie qui est utilisée de manière extrêmement diversifiée. Chaque p’tit coin est un compromis individuel entre fonctionnalité et humour, originalité et parcimonie, minimalisme et dignité, expertise et bricolage… Aux confins de l’intimité, du confort et de la décontraction.
La prochaine fois que vous utiliserez des toilettes de la sorte au cours d’une randonnée ou d’une course en montagne, regardez bien ce baraquement. Et ses détails. Cela en vaut vraiment la peine. Même si vous n’en connaîtrez pas l’architecte, il est fort possible qu’il vous soit fort sympathique.
L’auteur Marco Volken
Photographe (depuis 1994) et écrivain, né à Milan, il vit aujourd’hui à Zurich après avoir poursuivi des études dans le domaine des avalanches et de la physique de l’atmosphère. Féru d’alpinisme et de randonnée, Marco Volken est l’auteur de nombreux ouvrages dont Lieux d’aisance, un livre (quadrilingue, 2015, éditions as-verlag.ch) dont sont extraites les images publiées ici.