André Gide publie en 1929, chez Gallimard, un livre qui fera date, Voyage au Congo, illustré par 64 photographies inédites de Marc Allégret. Cet ouvrage rare, grand format, en édition numérotée, jamais réédité, est le fruit du périple africain de dix mois que firent les deux hommes quelques années plus tôt. Il est aujourd’hui convoité par les collectionneurs.
L’idée est de Gide et concrétise un rêve qu’il caressait de longue date: « Projet de jeunesse réalisé dans l’âge mûr ; ce voyage au Congo, je n’avais pas vingt ans que déjà je me promettais de le faire; il y a trente-six ans de cela », écrit-il.
L’écrivain de 56 ans accomplit avec Marc Allégret le voyage qu’il rêvait de faire avec le père de celui-ci, Elie Allégret, pasteur missionnaire envoyé au Congo en 1889.
Chargé de mission par le ministère des Colonies, André Gide et son secrétaire de 25 ans partent de Bordeaux le 18 juillet 1925. Ils longent le Congo belge et français, traversent l’Oubangui-Chari (actuelle République centrafricaine) et le Tchad pour finir au Cameroun, sillonnant ce qu’on appelle, depuis 1910, l’Afrique équatoriale française (A.E.F.) Ils seront de retour à Bordeaux le 31 mai 1926.
André Gide rédige d’abord un rapport officiel de ses observations (1926). La NRF publie ensuite son journal de bord en deux volumes : Voyage au Congo (1927) puis Le Retour du Tchad (1928). Un an plus tard, les deux ouvrages sont réunis, avec un texte allégé dans une édition de luxe avec les photos de Marc Allégret.
Marc Allégret, alors étudiant à Sciences-Po, ramène de ce voyage des photos et les images d’un film, Voyage au Congo-scènes de la vie indigène en Afrique équatoriale, qu’il va cosigner avec Gide et qui sera diffusé en 1928 ; il deviendra plus tard un cinéaste réputé.
La confrontation entre ces photos, à caractère ethnographique (Marc Allégret s’était fait admettre en 1924 comme membre à part entière de la Société de géographie), empreintes de fascination pour les corps africains et le texte de Gide, qui s’élève contre la politique coloniale française, est surprenante.
Le photographe-cinéaste s’intéresse aux peuplades baya (Oubangui Chari), sara (Tchad), musgum, kotoko, moundang et foulbé (Cameroun), rencontrées au cours de ce périple. Il ramène une véritable étude sur les us et coutumes des tribus massa (musgum) des bords du Logone (Tchad et Cameroun). Ses photos ne sont pas sans rappeler celle que l’ethno-photographe Pierre Verger réalisa un plus tard au Bénin puis au Brésil.
L’écrivain dénonce les conditions de travail sur le chemin de fer Brazzaville-Océan en construction, « effroyable consommateur de vies humaines ». Il fustige les grandes compagnies concessionnaires auxquelles le ministère des Colonies a confié, dès 1899 et pour une durée de trente ans, l’exploitation d’immenses domaines et qui pratiquent le travail forcé, infligeant aux indigènes des traitements inhumains.
Pourtant certaines images à charge ont dû être prises. Gide écrit : « Nous avons quitté Carnot ce matin… A une heure de marche dans la steppe monotone, nous croisons un grand nombre de porteurs, puis escortés par des gardes armés de fouets à cinq lanières, une enfilade de quinze femmes et deux hommes attachés au cou par la même corde. Une de ces femmes porte un enfant au sein. Ce sont des « otages » enlevés au village de Dangolo où les gardes avaient été réquisitionner quarante porteurs sur l’ordre de l’administration… Marc prend une photo de ce pénible cortège. » Celle-ci restera introuvable ! Les textes de Gide, eux, vont faire scandale et serviront de pièce à charge contre le système colonial.
« C’est un régime qui est en cause, un régime abominable qui encourage et favorise les pires abus, qui ruine un vaste pays capable de prospérité, qui asservit et exténue tout un peuple… Mais le pays ne pourra pas guérir aussi longtemps qu’on ne l’aura pas délivré des ces sangsues que sont pour lui les grandes compagnies concessionnaires… », écrit-il à Léon Blum en juillet 1927.
Le Voyage au Congo marque le début de son engagement politique.
L’exposition présente conjointement le film et les photographies réalisés par Marc Allégret au cours de ce voyage et en suit la chronologie. Elle est rythmée par des extraits de textes d’André Gide provenant de son journal de bord devenu livre, et de Marc Allégret publiés dans ses Carnets du Congo. Elle propose un choix de photographies plus étendu que celui retenu pour l’album de 1929, permettant de découvrir la richesse d’un travail accumulé au fil des jours, dans les moments de liberté que laissait à l’opérateur la lourde charge de l’organisation logistique de ce périple.
Pour Marc Allégret, qui avait manifesté très tôt son intérêt pour l’Afrique et l’art nègre, ces images filmées ou fixes sont la première empreinte de sa carrière artistique.
Elle met en relief une œuvre qui interroge sur l’esthétique d’une époque et la mémoire coloniale de la France.
Sophie Malexis
EXPOSITION
Le Voyage au Congo
Marc Allégret & André Gide
Du 21 juin au 31 août 2014
Grenier du Chapitre
Rue Saint-James
46000 Cahors
France
05 65 20 88 66
Ouvert du 21 juin au 31 août de 11h à 18h, dimanches et jours fériés de 14h à 18h, fermé le mardi
Entrée libre et gratuite