Le photographe malien (1935-2016) a immortalisé les sourires de son pays toute sa vie. La Fondation Cartier à Paris lui rend hommage dans une large rétrospective qui présente pas moins de 250 photographies.
Certains photographes attrapent la douleur et en font des tableaux saisissants où la souffrance humaine est magnifiée dans l’expression d’un visage, dans l’attitude d’un corps. Malick Sidibé, lui, capture la joie de vivre et la met à l’honneur. D’immenses sourires qui revigorent et donnent envie d’y être mêlé.
En témoignent en premier lieu ses photographies de soirées dansantes à Bamako dans les années 1960-1970. Sidibé saisit les enjambées, donne à voir les pas endiablés des jeunes gens sapés pour l’occasion. Il relève le rythme, fait vibrer le chant intérieur des danseurs qui désarçonnent la piste dans une envolée corporelle. A son époque, Malick Sidibé était le photographe incontournable d’une soirée réussie. Comme il le racontait de son vivant : « Dans la rue, les camarades de mes enfants m’appelaient (…) J’assistais à leurs fêtes comme à une séance de cinéma ou à un spectacle. Je me déplaçais pour capter la meilleure position, je cherchais toujours les occasions, un moment frivole, une attitude originale ou un gars vraiment rigolo ». Il était invité par l’organisateur d’une fête, puis le lendemain il placardait le mur de son studio photo avec les prises de la veille et proposait aux convives de les acheter.
Il en tirera des chefs d’oeuvre en noir-et-blanc, notamment cette jeune femme dansant avec son frère, front contre front, en train d’enchaîner un pas de twist et qui sera élue sous le nom de Nuit de Noël l’une des « 100 photographies les plus influentes de l’histoire » selon le magazine américain Time.
Le bonheur du monde
Comme elle, de nombreuses autres photographies montrent si bien le mouvement enchanteur de la danse qu’elles nous emportent avec elles, nous transportent dans leur élan, nous communiquent le désir de faire nos propres pas sur la piste.
« C’était quelqu’un de très bienveillant, de très accueillant », témoigne Brigitte Ollier, co-commissaire de l’exposition, journaliste spécialiste de la photographie et qui l’a rencontré plusieurs fois. « Il avait une joie de vivre semblable à la joie de vivre qu’il y a sur ses photographies ».
C’est que Malick Sidibé traque le bonheur du monde et fuit les sujets tristes. Comme il le dit lui-même dans un film qui est présenté à la fin de l’exposition, il photographie la jeunesse, les jeux d’enfants, ceux qui plaisantent en se croyant éternel. Alors il se glisse dans leurs fêtes et leur rend cette éternité par autant de bains de joie accumulés. Quand ils vont à la plage, le photographe les suit et les immortalise en baigneurs invétérés, fiers de poser les biceps gonflés et le sourire d’un jour ensoleillé sur le visage.
La même fierté les prend quand ils posent dans le studio du photographe avec leurs trésors de pacotille: une mobylette, un disque vinyle favori, des lunettes de soleil sur les yeux, une robe aux motifs grimés. Là est le deuxième domaine où Malick Sidibé excelle : le portrait. A la Fondation Cartier, une galerie de visages saisissent par leurs beautés picturales que l’artiste a relevé en art.
« Il savait faire sourire »
Ce fils d’agriculteur, né dans un petit village à 300 kilomètres de la capitale, ouvre son studio photo à Bamako en 1962 grâce à l’argent de son oncle. Bientôt, il voit défiler le Mali. Le bouche-à-oreille et ses succès dans le monde de la fête confortent sa renommée et lui font accueillir toute sorte de personnages étonnants, bariolés, qui viennent seuls ou en groupe se faire tirer le portrait. Malick Sidibé sait les mettre en confiance. « Il avait une technique bien à lui pour le faire », raconte Brigitte Ollier, « il mettait une main sur l’épaule de son modèle, ce qui le mettait à l’aise. Il savait faire sourire ». C’est ce que nous sentons devant ses photographies. Malick Sidibé, le dit lui-même, il s’amuse en prenant des photographies et sait transmettre cet amusement. Devant ses œuvres on sent que les prises ont été baignées dans une atmosphère gaie, enchantée, vivace. C’est le photographe de la vie qui déploie en une myriade de portraits la diversité de son pays. Parfois, Malick Sidibé, en reporter, dresse le portrait d’un personnage du quotidien : un pompier, un horloger, un boxeur. Parfois, il joue avec les gens et sort des photographies traversées par un rire franc, une séance de pose où tout le monde s’amuse, comme ce yé-yé en pantalon patte d’eph’ qui mime un pas de danse dans son studio ou encore ces groupes de jeunes gens poseurs, chacun une cigarette à la bouche et que Malick Sidibé, ironiquement, intitule : « La cigarette à l’honneur ».
Lion d’or
« Il voulait embellir son modèle », affirme Brigitte Ollier, « et il réussissait à rendre les gens pensifs ». C’est ce qui apparaît très clairement devant de nouveaux tirages posthumes qui sont présentés pour la première fois dans l’exposition. Là, les modèles sont plongés dans de profondes méditations que leurs yeux trahissent. On dirait que la rencontre avec le photographe n’est plus un jeu, mais une heure grave dans laquelle il est question de quelque chose qu’on prend à l’âme et qu’on accepte de donner à l’artiste. A la fois intrigués, émus et généreux dans un don que ces modèles ne feraient pas à n’importe qui. Il faut dire que Malick Sidibé est devenu peu à peu une célébrité dans son pays. Lui qui venait d’un village de la campagne malienne recevra, en 2007, le lion d’or de la Biennale de Venise. Et de lancer, devant ce succès, en riant : « Les gens en parlant de moi disent : “il fait de belles photos. C’est un sorcier !” ».
Jean-Baptiste Gauvin
Jean-Baptiste Gauvin est un journaliste, auteur et metteur en scène qui vit et travaille à Paris.
Malick Sidibé, Mali Twist
Du 20 octobre au 25 février 2018
Fondation Cartier
261 Boulevard Raspail
75014 Paris
France
www.fondationcartier.com
Livre publié par Xavier Barral
45€
http://exb.fr/fr/home/324-mali-twist.html