Cogitations Mensuelles de Thierry Maindrault
Ce photographe est Personne. Plus exactement, ce photographe en perdition est nous tous. A la fin des combats, il restera un Photographe Inconnu et, pourquoi pas, célébré comme tel. En quelque sorte, un symbole de tous de nos collègues, emportés sans postérité, disparus par la fainéantise assumée des nouveaux rédacteurs. Les mentions du crédit sont devenues plutôt des épitaphes, limités à la version « droits réservés ». C’est parfait pour bien esquisser un nom dans le copyright. Passez vos chemins jeunes gens, cela fait quelques années qu’il n’y a plus rien à voir. L’Histoire, ou plutôt les pastiches de l’histoire, sont bien un perpétuel recommencement. Donc aucune raison de ne pas poursuivre sur cette lancée !
La photographie souffre de difficultés financières à la suite de la dilution des droits d’auteur dans les méandres des systèmes de communication, avec une suppression des revenus pour les auteurs. Mais, il est un danger bien plus grand, et beaucoup plus pernicieux que la perte des droits économiques, sur nos créations. L’engloutissement, pur et simple, qui s’organise des droits moraux réputés inaliénables.
Les droits patrimoniaux d’une œuvre de l’esprit s’éteignent illégalement avec la diffusion immodérée des images (également des textes et des sons), à travers les multitudes de ramifications de l’internet. Ce pillage sans les autorisations préalables, en principe obligatoires, ce fait sans les contreparties prévues au travers de droits devenus collectifs qui sont saupoudrés au petit bonheur la chance. Cette situation entraîne inexorablement un appauvrissement de la création par l’asphyxie progressive des auteurs.
Mais, il est un fait beaucoup plus préoccupant qui prend forme extrêmement rapidement, je veux évoquer la spoliation des droits moraux des auteurs et de leurs légataires. Comme souligner, ci-avant, cela fait quelques années que la signature ou le crédit, des auteurs, se trouvent, plus ou moins régulièrement, oubliés, négligés, ignorés, voire volontairement, estompés. Maintenant, n’importe qui commence à se servir, allègrement et sans vergogne, dans les réalisations de tel ou tel créateur pour en faire n’importe quoi. Bien entendu, sans citer le créateur et sans respecter l’œuvre dans tous ses aspects (objectifs et immatériels). Encore une fois, l’arrivée de systèmes de communication massifs, associés à des stockages d’informations gigantesques, facilite ce phénomène d’emprunt d’œuvres diverses. Le non-respect délictueux de l’autorisation préalable, à l’échelle de la planète, accentue ce phénomène de vols et de spoliations caractérisé. Alors que se tient cette semaine, une grande Messe parisienne sur la pseudo-intelligence dite artificielle, (qui n’est encore et en fait qu’une suite d’aiguillages primaires dans des diagrammes structurés), il est utile d’attirer l’attention sur cette sorte d’industrialisation massive du pillage, sans foi ni loi.
Cet aspect de l’évolution des outils contrecarre quelque peu l’aspect miraculeux de l’étiquette aguichante « IA » posée sur une évolution commencée il y a des années et qui poursuit logiquement son évolution.
Ne comptez pas sur moi pour rejeter massivement l’amélioration efficace de tous nos outils de travail, à l’aide des nouvelles capacités du traitement de l’information et de la rapidité du retour d’actions. L’évolution technologique permet, par la puissance miniaturisée des matériels développés et par la vitesse de circulation de l’information, d’améliorer, quantitativement et qualitativement, une multitude d’opérations. Tous ces travaux existaient et ils étaient déjà mis en œuvre antérieurement ; toutefois, dans des conditions de précision et de temps moins performantes.
Pour notre photographie, quasiment depuis sa création, un grand nombre d’utilisateurs se sont efforcés de maîtriser l’impact de la lumière sur la surface sensible et de modeler les résultats pour l’obtention de leurs propres images. Les montages de photographies avec de multiples personnages, le double impact de la lumière dans une solarisation, le détourage pour l’apport d’un fond extérieur, le repiquage de poussières négatives, le changement d’identité des sujets, ont fait partie du travail de nombres de photographes dès la fin du XIXe siècle.
Ensuite, au fil des ans, les techniques ont évolué afin d’obtenir les mêmes résultats dans des conditions, plus rapides et des rendus améliorés. L’arrivée du numérique n’a fait que permettre une évolution dans la vitesse d’exécution et le rendu du travail. Il est intéressant de noter que la pseudo-intelligence artificielle, dont on parle beaucoup soudainement, existe depuis quelques années dans le domaine de la photographie, comme dans de très nombreux autres secteurs d’activité.
Toutes ces nouvelles évolutions sont très positives, si nous considérons qu’elles permettent la réalisation d’objectifs, dans des conditions améliorées. Cette amélioration des performances des outils a toujours été un atout pour l’homme à la condition express qu’il soit toujours derrière les décisions. La maîtrise des procédures, mises en œuvre, reste indispensable pour évaluer et anticiper les diverses conséquences.
Tant que l’utilisateur se trouve à la manœuvre afin de déterminer les objectifs et d’en mesurer les impacts, les répercussions, avec une véritable responsabilité, nous restons dans le cadre d’une amélioration de la gestion du travail. La question va sûrement se poser, surtout dans d’autres activités que la nôtre, dès lors que le fonctionnement de l’outil passera de la responsabilité d’une personne à une mise en œuvre collective, par définition irresponsable.
Oublions l’aspect philosophique pour revenir à nos moutons photographiques.
Nous voilà, grâce à la réalisation numérique, dans un monde qui se veut parfait. Depuis notre appareil photographique qui propose, lorsqu’il n’impose pas, les paramètres idéaux pour une prise de vue sans défaut. Avec des transferts des fichiers de clichés qui se fait, dans l’instant, jusqu’à notre écran de postproduction.
Aussi les nouvelles interventions de nos logiciels, déjà très perfectionnés, pour nous offrir une série de séquences – préprogrammées – qui transforme nos clichés déjà exceptionnels en des images sublimes. Tout le monde ne peut qu’être esbaudi des résultats obtenus. Il devient évident que le calcul de la profondeur de champ, le réglage du diaphragme, la température lumineuse, la lecture du posemètre, le réglage de la vitesse, le cadrage du cliché, le développement du film, le réglage de l’agrandisseur, le temps d’insolation, la densité de produits, le glaçage de la gélatine, et bien d’autres choses dans cette liste poétique, s’effacent et disparaissent dans la brume de l’Histoire. Personne ne va s’en plaindre ; sauf, que certains auteurs sont encore obligés de suivre ce long cheminement (parfois partiellement) pour obtenir les résultats voulus. Il est des résultats impossibles à générer avec les moyens les plus modernes, demain peut-être ; mais, pas encore aujourd’hui.
Il reste que les choses vont se gâter avec la face noire de cette évolution qui doit révolutionner nos vies. Nous venons de voir que l’usage est merveilleux, et c’est vrai. Tant que l’instrument va m’aider réaliser mon image, à partir de trois de mes prises de vues, pour en faire ce que je veux, tout est parfait. Mais, avec les intérêts financiers qui ne traînent toujours pas très loin, les pseudo-auteurs nouveau style, sont dans l’incapacité intellectuelle de faire un cliché de base pour satisfaire leur créativité congelée. Les multinationales, bien intentionnées, leur proposent tout simplement, d’aller piocher dans la montagne monstrueuse des données redondantes conservées aux quatre coins de la planète. Les outils de cette recherche (second volet de l’évolution numérique) compensent aisément l’impossibilité de nos petits génies à trouver quoique ce soit. La chasse aux créations des autres et les vols de données systématiques octroient, à ces scélérats, la possibilité de pondre des assemblages dont ils revendiquent une paternité exclusive. Ce qui est un peu agaçant tient dans le fait que les créateurs imaginatifs et travailleurs abandonneront, à terme, pour assurer leur survie, d’une part. D’autre part, les voyous qui se livrent à cet exercice affaiblissent considérablement le peu de cervelle qui pouvait leur rester. La calculette a fait perdre la logique mathématique, le GPS a enfumé le sens de l’orientation, les moteurs de recherche atomisent nos mémoires. A qui profite cet affaiblissement systématique et objectif de l’intelligence humaine ? Certainement pas à une autre intelligence, même si un jour, elle devient vraiment artificielle !
Vivian Maier m’a donné envie de ressortir mon vieux « Rollei », il y a encore tellement à trouver et à faire, avant de tomber dans les enfantillages.
Thierry Maindrault, 13 février 2025
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