Chaque mois, retrouvez le choix de la librairie, par Irène Attinger : une sélection d’ouvrages parmi les nouveautés en vente à la librairie de la MEP, qui, en raison de leur originalité, de leur qualité éditoriale et/ou de l’importance de leur contenu, participent de l’image de l’édition photographique internationale.
PHOTOGRAPHIES
MARCEL GAUTHEROT
Instituto Moreira Salles, São Paulo / Editions Chopin, Paris, 2016
Après des études d’architecture, Marcel Gautherot (1910 – 1996) est venu à la photographie. Convaincu du rôle fondamental joué par la lumière en architecture, il a pu affirmer qu’une personne qui ne comprend pas l’architecture ne peut pas prendre une bonne photographie. Il commence à travailler, en 1936, au Musée de l’Homme à Paris comme responsable des collections ethnographiques. La même année, le Musée l’envoie au Mexique pour photographier des monuments de la culture précolombienne. En 1939, son premier voyage au Brésil est brutalement interrompu par sa mobilisation par l’armée française. En 1940, l’occupation de la France le conduit à retourner au Brésil. Dès son arrivée dans ce pays, il noue des relations privilégiées avec le monde de la culture.
L’ouvrage, qui accompagne la rétrospective présentée à la MEP, commence par quelques images du Mexique dans lesquelles on perçoit une influence de Manuel Alvarez Bravo, rencontré au Mexique. Cependant, l’essentiel de l’œuvre de Marcel Gautherot se situe au Brésil qu’il parcourt en photographiant l’Amazone et ses affluents, la vie quotidienne des ports, les bateaux et les pêcheurs. Il s’intéresse aux cultures populaires du Nordeste et photographie de nombreuses fêtes populaires.
Oscar Niemeyer l’invite, à la fin des années 1950, à couvrir la construction de Brasília. Ce dernier, dans un court texte daté de 2000, a écrit :
« Pendant de nombreuses années, Marcel Gautherot était notre photographe préféré. Que de voyages entrepris ensemble à traverser le Brésil ! […] Quelle justesse dans les angles qu’il trouvait ! Comme il comprenait bien le contraste de l’architecture ! »
Sa production d’une grande diversité, comme en témoignent en particulier les images de végétaux des dernières pages du livre, est marquée par une grande rigueur formelle.
BOÎTE NOIRE
CELSO BRANDÃO
Editora Madalena, São Paulo / Contrasto, Rome, 2016
Boîte Noire est le récit de l’immersion d’un photographe dans son pays d’origine, Alagoas, un petit état du Nordeste brésilien. Le photographe et cinéaste Celso Brandão nous invite à découvrir les rites et les coutumes des populations de cette région au travers d’un réalisme magique, cher à nombre de photographes latino-américains. Les photographies, prises dans les années 1990, ont été sélectionnées et organisées par un autre photographe brésilien Miguel Rio Branco.
Le titre « Boîte Noire » fait référence à l’enregistreur de vol des avions, mémoire ultime des derniers événements d’un voyage, mais aussi peut-être à l’appareil photographique, lui aussi moyen d’enregistrement. Les images des premières et dernières pages du livre sont imprimées sur un fond noir. Cet enchâssement est, lui aussi, la métaphore d’une boîte noire.
La couverture du livre montre la main, un peu floue, d’une potière indienne striant la glaise avec ses doigts.
ALBINOS
GUSTAVO LACERDA
Editora Madalena / Terceira Nome, São Paulo, 2014
En plus de cinq ans, le photographe Gustavo Lacerda a fait des portraits d’environ 50 albinos anonymes – hommes, femmes et enfants – dont il a souligné la beauté livide par des jeux de costumes et de scénographie. Shootés dans des studios établis ou improvisés à São Paulo, Rio de Janeiro ou dans le Maranhão (un état du Nordeste où l’on observe une singulière concentration d’albinos), ils font l’objet d’un livre montrant 35 images en couleur et aux blancs saturés. À la fin du livre est reproduite une lettre écrite par la mère des jumelles albinos dont il a fait le portrait.
« L’idée de commencer ce projet ne m’est venue qu’en 2009, quand je me suis rendu compte qu’en plus d’une richesse esthétique il y avait des questions importantes, comme leur invisibilité sociale et leur photophobie, étant donné que la photographie est essentiellement lumière. Je suis devenu de plus en plus impliqué et le projet a grandi. »
A GRANDE SECA
RONALD ANSBACH
Editora Madalena, São Paulo, 2015
De 2006 à 2014, le photographe Ronald Ansbach a erré dans São Paulo cherchant des espaces et des endroits qui révéleraient l’essence de la ville. A Grande Seca (La Grande Sécheresse) est une promenade imaginaire dans la ville, du centre historique vers ses confins. Selon l’auteur, « l’image et le souvenir de la ville sont construits à partir de parcours. Comme nous intériorisons la ville à partir de nos yeux et des autres sens, nous en construisons une carte mentale constamment mise à jour. La ville expérimentée se balance constamment entre la carte (ou la ville abstraite) et la réalité concrète des parcours ».
Sous une couverture à rabat, le livre propose 60 photographies d’avenues, de rues, de terrains vagues, de parkings et des immeubles qui les bordent. Son titre a un sens métaphorique : « La grande sécheresse n’est pas juste la sécheresse de la crise d’approvisionnement en eau – qu’on peut en effet voir dans les images – mais c’est aussi l’absence derrière l’abandon de nos espaces publics et le démenti de la ville en tant que lieu collectif», conclut Ronald Ansbach.
RAMOS
JULIO BITTENCOURT
Cosac Naify / Editora Madalena, São Paulo, 2015
Quand on pense aux plages de Rio, ce sont les belles images de Copacabana ou d’un coucher du soleil sur Ipanema qui viennent à l’esprit. Mais à quelques kilomètres, se trouve un lac artificiel d’eau salée au carrefour d’une quinzaine de favelas. L’endroit est bruyant, pollué et surpeuplé. Piscinão de Ramos (la Piscine de Ramos) est un parc public, une plage environnée de quelques terrains de football et d’autres installations sportives. C’est l’endroit où les milliers de gens qui vivent dans les favelas environnantes vont chaque été. Julio Bittencourt a photographié les usagers de la plage de Ramos pendant quatre étés.
Sa vision photographique exempte de préjugés donne un portrait unique d’un endroit où les gens jouissent de leurs temps de loisir alors que simultanément se posent des questions comme la violence et la pollution. La postface de Martin Parr souligne que :
« Ici les images respirent l’énergie et le chaos, avec un très fort dynamisme. Je n’avais vu nulle part des scènes de plage comme celle-ci. C’est une chose de trouver des lieux aussi extraordinaires et d’en obtenir l’accès, mais il est tellement plus difficile d’en traduire l’esprit dans des photographies, comme Bittencourt l’a fait si efficacement. »
AEROPORTO
CÃSSIO VASCONCELLOS
Editora Madalena, São Paulo, 2015
Il a fallu à Cãssio Vasconcellos un an de travail et des milliers de photographies aériennes zénithales de nombreux aéroports brésiliens et nord-américains pour réaliser une unique image de 5 mètres par 2 mètres d’un gigantesque aéroport imaginaire. Sur un fond délibérément pixélisé, on peut voir les détails d’avions, de véhicules, de terminaux et de toutes sortes de choses que l’on peut trouver sur un aéroport.
Pour le livre, cette grande image a été fragmentée en 32 parties, chacune occupant la page droite. La reliure permet de détacher les pages. Le lecteur est ainsi invité à les assembler à sa guise pour créer son propre aéroport imaginaire.
ENTREVISTAS
CLAUDIA JAGUARIBE
Editora Madalena / Terceiro Nome, São Paulo, 2014
Entrevistas montre le regard sur la ville de São Paulo que peuvent avoir ses habitants. Les images sont une combinaison de portraits, d’intérieurs d’appartements et de vues que l’on a, des terrasses ou des fenêtres, sur cette mégalopole gigantesque. Comme son nom le suggère, Entrevistas doit se regarder entre les images pour voir simultanément la ville et les appartements. Claudia Jaguaribe a fait une sélection d’intérieurs qui montre la diversité rencontrée à São Paulo, d’une zone de grands hôtels particuliers aux voisinages pauvres de travailleurs nouvellement arrivés.
Ce livre carré est un leporello qui, déplié, mesure 18,62 mètres. Il contient 45 images panoramiques se déployant sur quatre pages, mais que l’on peut aussi regarder comme des doubles pages. La séquence des images rend fluides les frontières entre des endroits différents. À plusieurs reprises, il est difficile de discerner la limite entre les images.
CABANAGEM
ANDRÉ PENTEADO
Editora Madalena / Terceiro Nome, São Paulo, 2015
La révolution dite Cabanagem – un nom qui fait référence à des cabanes habitées par les pauvres – a eu lieu en Amazonie brésilienne entre 1835 et 1840. Malgré son échelle – plus de 30 000 morts sur une population d’environ 100 000 – et un succès de courte durée, les révolutionnaires ayant tué le gouverneur et pris le pouvoir pendant un an dans la province de Grão-Pará, le mouvement est aujourd’hui presque inconnu au Brésil.
Dans Cabanagem, le photographe et vidéaste André Penteado aborde la façon dont les récits historiques sont créés et perpétués. Dans une pochette en papier sont glissés deux volumes. Le plus grand montre 90 images des lieux où s’est passé le soulèvement. Le plus petit contient 26 portraits de personnes rencontrées sur place. Au début est présenté, comme une page de journal, un texte de l’historienne Magda Ricci expliquant le contexte du soulèvement.
MALDICIDADE
MIGUEL RIO BRANCO
Cosac Naify, São Paulo, 2014
Maldicidade reprend des images faites entre 1970 et 2010 dans des villes des États-Unis, du Brésil, du Japon, de Cuba et du Pérou. Peu intéressé par les images thématiques, Miguel Rio Branco recherche plutôt des images susceptibles de s’intégrer à de nouvelles œuvres. Il ne se laisse pas fasciner par les métropoles modernes et les architectures spectaculaires. Il préfère diriger son appareil photo vers le bas, vers les marges opprimées, les chiens perdus fouillant à la recherche d’un repas ou les bus vieillissant bondés de passagers. Si des détails subtils indiquent les destinations de ses voyages à travers le globe, il veut centrer le nôtre sur l’universel plutôt que sur la spécificité des lieux. Le fait d’être au Brésil, à Cuba ou au Japon compte moins que les luttes quotidiennes des laissés-pour-compte qui ont des côtés remarquablement semblables.
Documentant quarante ans de travail, Maldicidade est simultanément une célébration et une défense des parties oubliées et négligées de l’existence urbaine collective.