Du temps de ma jeunesse, ma mère Madje m’a rarement laissé la photographier. Mais quand sa mémoire a commencé de lui faire défaut, et que je l’ai vue se mettre à disparaître devant mes yeux, j’ai décidé de prendre des photos. Elle ne s’en formalisait pas du tout, peut-être ne se rendait-elle pas compte de ce que j’étais en train de faire. Durant les huit ou dix ans que j’ai passé à la regarder décliner, j’ai capturé tous les stades par lesquels elle est passée : la joie, la violence, la confusion, la dépression, l’absence.
Je voulais rattraper toutes ces années perdues sans photographies et fabriquer des souvenirs pour quand elle serait partie.
Au fil de ce processus, j’ai découvert la femme, pas la mère, mais la vraie Madje, en dehors de moi et du rôle qu’elle a joué pour moi. Les photos devinrent mes derniers souvenirs d’elles. Alors qu’elle était de plus en plus perdue dans le monde qui l’environnait, je l’ai accompagnée dans ce dernier voyage jusqu’à ce qu’elle meure dans mes bras un matin aux aurores, une semaine après son quatre-vingt neuvième anniversaire.
Pendant cette période, j’ai réalisé un reportage sur la mémoire pour le National Geographic Magazine. Mon approche sur ce sujet a été fortement influencée par mon expérience de la démence de la mère et m’a aidé à rendre humaine l’approche scientifique et à faire des photos qui faisait réellement sentir ce qu’était la mémoire.
Je continue de travailler sur la mémoire au sein d’un projet que j’appelle Memory Box et certaines des photos qui s’y trouvent sont aussi issues de ce travail.
Maggie Steber
Vous pouvez lire dans la version anglaise de La Lettre l’interview de Maggie Steber pour The Image, Deconstructed