Pendant tout le week-end dernier s’est tenu une large exposition sur l’intelligence artificielle à la Conciergerie à Paris. Une panoplie d’artistes invités à réfléchir sur le sujet, produisant des œuvres à la croisée des mondes et questionnant profondément notre rapport au virtuel.
« N’ayez pas peur du changement ! » s’exclame une voix aux accents de robot. Juste avant des adolescents se sont transformées en hommes-fleurs, la peau recouvertes de tiges vertes et de corolles colorées. Vidéo de Léa Collet qui souligne combien la mutation est un processus à l’œuvre dans la nature et trouve un écho dans le bouleversement que constitue l’arrivée de l’IA au cœur de nos vies. Non loin de là, un avatar de jeune homme est en train de pleurer. Il crie : « Ô douleur ! Le monde a changé » dans une sorte d’opéra numérique réalisé par les artistes Emilie Brout et Maxime Marion.
Ambivalence autour de l’IA, entre rêve et cauchemar, entre utopie et dystopie, que les créateurs se font fort de questionner ici, sous les voûtes magnifiques de la Conciergerie. Ainsi de la vidéo de Lou Fauroux qui invente un centre de désintoxication d’Internet. Retour dans les années 1990 quand nous n’avions pas le nez rivé sur nos écrans promet une jeune femme toute numérique pourtant… Se mélangent allègrement passé et présent, organique et technologique, dans des images étirées et mutantes où des formes étranges apparaissent et disparaissent.
Une cartographie de l’IA
C’est par exemple le cas dans les films de Sabrina Ratté qui s’inspirent des 22 arcanes du tarot ou bien dans le projet de Oscar Santillán basé sur un code matériel inca où l’IA est convoquée dans des imaginaires préexistants. Parfois, c’est une fiction totale comme dans le jeu-vidéo de Justine Emard qui crée des chimères courants dans un paysage 3D. Mais qu’il s’agisse d’un socle réel ou d’une pure invention, l’IA surgit dans tout ce qu’elle a de fascinant avec sa capacité de transformer les images et nos vies.
Nous le comprenons avec précision grâce au travail du collectif espagnol Taller Estampa qui a réalisé une cartographie de l’IA dans le monde. Nous apprenons par exemple qu’elle consomme des litres et des litres d’eau via ses data centers, près de 20 milliards de litres pour Google par exemple en 2022. Est questionné aussi ce que nous donnons à la machine avec l’affirmation de l’artiste Adam Harvey dans son installation faite tout en miroir : « Today’s selfie is tomorrow’s biometric profile »
« Je suis stupéfait par les possibilités de création autour de l’image » témoigne Pierre, 94 ans. Il est venu avec sa femme et tous les deux trouvent cette initiative du ministère de la Culture « formidable ». Ils s’interrogent néanmoins sur l’aspect écologique de l’IA – « combien coûte en électricité de telles installations ? » se demande Pierre – et sur les métiers qui risquent d’être remplacés par la machine.
Par Jean-Baptiste Gauvin