Y a-t-il un président pour sauver la presse people ?
François Hollande en vacances, en juillet 2007, shooté par un paparazzi à la sortie d’un supermarché. Ventes en chute libre, procès à la pelle, pseudo stars de télé-réalité en une… On croyait la presse people en plein déclin. C’était compter sans le scoop Hollande-Gayet, venu donner un nouveau souffle à Closer et à ses concurrents. Le politique est un people comme les autres : tel est désormais le credo des magazines à scandale, qui espèrent subsister en mettant en scène les aventures de François, Valérie, Nicolas et Carla.
François et son casque ; Julie sortant de son immeuble ; Valérie et le Mobilier national ; Julie et les Corses ; Valérie à l’hôpital ; Valérie et Twitter ; François, encore, et les journalistes à l’Elysée ; le fils de Valérie et Twitter (c’est de famille décidément) ; François et la rupture ; Valérie en Inde… Voici le soap opera le plus fou de l’histoire de la Ve République. Qui renvoie presque aux oubliettes les aventures de Nicolas Sarkozy. Une histoire rocambolesque démarrée le 10 janvier, avec sept pages et dix photos parues dans le magazine Closer. Depuis, la France entière suit les rebondissements de ce méli-mélodrame commencé rue du Cirque à Paris, comme si tout cela n’était qu’une grande mascarade. Et qui pourrait finir au tribunal, Julie Gayet venant de déposer une plainte au pénal pour « atteinte à l’intimité de la vie privée ». Mais que s’est-il donc passé pour que le 27e président de la République française et sa maîtresse fassent la une d’un magazine people ? Pourquoi ce quasi-secret d’Etat, dont une bonne partie des journalistes avoue aujourd’hui qu’ils en connaissaient certains détails mais avaient privilégié le droit à la vie privée, s’est étalé dans la presse à scandale ? Cette presse qui, depuis l’accident de la princesse Diana, le 31 août 1997 — les paparazzis qui avaient suivi Lady Di jusque dans le tunnel de l’Alma cette nuit-là avaient été accusés d’être responsables de sa mort — se lit en général du bout des doigts, le nez bouché .
Le numéro 448 de Closer est devenu collector. Les kiosques à journaux ont été dévalisés, et pas seulement par les lecteurs habitués. Même ceux qui s’opposent à ce genre de presse à scandale ont été piqués de curiosité… et ont plongé leur nez pour la première fois dans la maquette criarde de Closer. Le magazine a dû être réimprimé, permettant au groupe Mondadori de doubler ses ventes, aux alentours de 600 000 exemplaires. De quoi donner un nouveau souffle à une presse people qui décline et mise depuis quelques années sur le « pipolitique » — les politiques érigés en people comme les autres — pour échapper au marasme. Convaincu des retombées économiques du scoop, Closer n’a donc pas pris le risque d’attendre LA photo qui montrerait François Hollande et Julie Gayet ensemble. Laurence Pieau, directrice de la rédaction comblée, a raconté une histoire en s’appuyant sur des allées et venues photographiées. Comme elle l’aurait fait pour n’importe quelle personnalité. L’enjeu était simple : dégainer le premier. Selon un sondage Harris Interactive pour Closer, publié le 31 janvier, 58 % des Français estiment que le titre a eu raison d’afficher le « grand amour » du président. « Cela prouve que la bonne histoire fait vendre, ça repousse les limites et ça relance l’intérêt pour la “pipolitique”, éclaire un concurrent. Le scoop Closer a réveillé les rédacs. »
Des rédactions qui surfaient depuis les années 2000 sur des personnages plus faciles d’accès. Jessica, Loana, Kenza, Kimy, Giuseppe, Nabila… De sombres inconnus qui ont un temps connu la gloire dans une émission de télé-réalité et se confient (« Amélie, amoureuse à nouveau »), règlent leurs comptes (« Amélie, elle a déjà trahi Senna »), pleurent sur leur sort (« Emilie déjà trompée ») dans les colonnes des magazines people. Une recette née du temps du premier « Loft Story », qui n’a pas suffi à maintenir les ventes à flot. Car, malgré quelques pics récents (les seins de Kate Middleton, l’affaire DSK), la crise, l’envolée des sites web et des réseaux sociaux rongent depuis presque une décennie la bonne santé de l’ensemble de la presse people. Des historiques Ici Paris ou France dimanche aux petits derniers comme Public, Closer ou Oops !, tous sont touchés.
Au début des années 2000, un Voici pouvait écouler un million d’exemplaires par semaine. Aujourd’hui, selon les chiffres de l’OJD 2013, Closer vend en moyenne 366 706 exemplaires (–12,32 % par rapport à 2012), Voici 353 655 (–11,83 %), Public 321 545 (–13,20 %)… Le schéma est classique : l’argent peine à entrer — « alors on hésite à mettre des photographes en commande, lâche un rédacteur en chef, et on rate des coups ». Automatiquement, le contenu s’appauvrit, perd son ton acerbe, irrévérencieux, parfois drôle. Et les lecteurs fuient. Mais répondent de nouveau présent quand les magazines font des coups… politiques. Rachida Dati sortant de la maternité, Cécilia Sarkozy et son amant à New York, DSK la mine défaite, Arnaud Montebourg amoureux… S’ils maîtrisaient jusqu’ici leur plan com’ en confiant des pans de leur vie privée dans des magazines « acceptables » (déjà, René Coty se montrait en décembre 1953 en maillot de bain avec sa fille), les politiques sont catapultés à la une de ces journaux à sensation, désormais traqués comme des people.
En 2006, Ségolène Royal ouvre — malgré elle — le bal. Jean-Michel Psaïla, patron de l’agence de photo Abaca, se souvient parfaitement de ce jour de juillet où il propose un cliché paparazzi de la première femme candidate à l’élection présidentielle. Elle est à la plage, en maillot deux-pièces bleu, casquette sur la tête. « On la connaissait dans son tailleur et sa rigidité de femme politique. On voulait comprendre qui elle était dans la vie de tous les jours, et ne pas se laisser manipuler par les directeurs de com’. » Closer et VSD publient la photo. « Mais Laurence Pieau était frileuse, se souvient Jean-Michel Psaïla. Elle a noyé la photo en couv’, au milieu de plein d’autres, dont celle de Claire Chazal topless. Mais ça a été un raz de marée, même le Vanity Fair américain en a parlé. » La « pipolitique » était née. Ministres et élus ont désormais une place de choix dans les pages de Closer et de ses concurrents, comme pour combler le vide laissé par l’absence de couples glamour dans le showbiz. « D’une certaine manière, à force de jouer avec le feu et d’avoir ouvert les portes de chez eux pour se rapprocher de leurs électeurs, les hommes politiques sont responsables de ce qui leur est arrivé », estime Christian Delporte, spécialiste de la communication politique.
Les images s’enchaînent, comme des romans-photos. En 2007, Hollande et Trierweiler sur une plage marocaine font exploser les ventes. C’est la première fois qu’on les voit ensemble. Le numéro s’écoule à près de 850 000 exemplaires. A l’époque, le futur président demande — sans succès — que le numéro soit retiré des kiosques. En 2007-2008, le feuilleton de la rupture de Nicolas Sarkozy et Cécilia est suivi avec succès. Jalousie, famille recomposée. D’un côté, le trio Ségolène-François-Valérie ; de l’autre, Cécilia-Nicolas-Carla… De quoi faire gloser et imprimer du papier. Dès lors, on planque les ministres à la plage, au restaurant, dans les parcs avec leurs enfants, à la sortie d’un spectacle. On guette le scoop, on flaire les affaires à venir. On s’intéresse de près à leur famille (Rachida, son père et son frère), aux grossesses (Rachida encore, Carla, NKM). « Sans le vouloir, les politiques ont aidé cette presse à se renouveler », confirme Isabelle Vignon, directrice des études plurimédias chez Aegis. Leur intimité devenant la source principale de nouveaux récits. « Au moins avec eux, c’est différent et plus inattendu », confirme un ancien journaliste people. Dans son petit bureau de Montrouge aux murs recouverts de unes, Laurence Pieau, 47 ans, carré blond légèrement désordonné comme un fait exprès, est intarissable quand il s’agit de presse people. Passée par Voici et Public, avant de prendre en 2005 la tête de Closer, elle a su faire de la vie des politiques une sitcom permanente et soutient ne leur accorder aucun traitement de faveur. (« Je refuse les dîners en ville. Plein de gens sont sympas, après tu es trop lié. ») Hollande a, dit-elle sans donner plus de détails, découvert l’édition de Closer la veille de la publication en kiosques, à 23 heures. Elle dit respecter seulement quelques rares tabous (pas de coming out, rien au sujet des enfants, encore moins quand il s’agit de maladie, et pas de révélations d’adultère quand l’une des parties n’est pas au courant — selon elle, depuis les allusions, en décembre 2013, de Stéphane Guillon sur le plateau du « Grand Journal », sur la relation entre Hollande et Gayet, Valérie Trierweiler ne pouvait que s’en douter). Sinon pas de différence notable de traitement entre les « vrais people » et les politiques. « La seule, c’est le staff de sécurité », confirme le photographe Sébastien Valiela, auteur du scoop Gayet.
Comment chasse-t-on ces pipolitiques ? Qui sont donc ces journalistes soi-disant sans scrupule prêts à tout pour jeter en pâture les moindres détails de leur vie privée ? D’anciens flics ? Des marloux ? Rien de tout ça, en réalité. Les rédactions sont somme toute normalisées, avec en prime, parfois, des écrivains pour rédiger des potins (Philippe Jaenada dans Voici). « Nous disposons d’informateurs qui nous remontent des renseignements et qui sont payés pour ça, confie Laurence Pieau. Après, ils font ce qu’ils veulent pour les avoir. » Rien d’original. Pour aller à la pêche sur les célébrités, les enquêteurs glissent des billets à des serveurs de resto, des personnels d’hôtel, des salariés de compagnies aériennes qui sortent les billets d’avion… Mais une autre source d’information permet d’engranger les scoops sur les politiques. Certains journalistes « police-justice » de la presse dite traditionnelle appellent régulièrement les rédactions des magazines people. Et moyennant une pige, leur glissent des infos précieuses, qu’eux ne pourront faire paraître dans leurs colonnes. Ces collaborateurs extérieurs, anonymes, permettent d’être informé des plaintes en cours, de récupérer des PV d’audition. C’est par leur entremise qu’arrivent, ou que sont vérifiés les sujets sensibles : DSK et le Carlton, la rupture DSK-Sinclair, l’interpellation du fils de Valérie Trierweiler… Quoi de plus simple, pour ces journalistes qui ont pignon sur rue que de passer un coup de téléphone à un juge, un avocat… sans être éconduits. « Quand on appelle de la part de Voici ou de Closer, on se fait rembarrer », confie un journaliste people. « Ce n’est pas honteux de partager des histoires plutôt que de les raconter uniquement dans les dîners en ville », sourit Laurence Pieau. « Aujourd’hui, au même titre que les autres publications, et parfois plus encore, la presse people fait du journalisme d’investigation, soutient Patrick Eveno, historien des médias. Pour la seule raison qu’elle n’est pas dans les relations publiques. » Sur la porte du bureau du chef d’édition de Voici s’affiche d’ailleurs, tel un mantra, la fameuse citation d’Axel Ganz, patron historique de Prisma : « Un journaliste de Voici fait le même métier qu’un journaliste du Nouvel Obs. »
C’est vite oublier que dans ce microcosme, la connivence n’est pas à exclure. Un personnage l’incarne parfaitement. Son nom est peu connu, son visage encore moins (aucune photo d’elle n’est disponible), mais elle est omniprésente : Michelle Marchand, dite Mimi, 66 ans, est la femme de l’ombre au plus gros carnet d’adresses de Paris, celle qui a fait le succès de Voici, est à l’origine de la création du site Pure People et de Best image, une agence de paparazzis. Mimi connaît tout le monde, les flics, les acteurs, les politiques, les conseillers… Incontournable, c’est elle qui fournit à la presse people ses plus beaux scoops depuis quinze ans, grâce à son réseau tentaculaire et opaque. La grossesse de Rachida Dati, pour ne citer qu’un exemple, c’était elle. Mimi sait parfaitement jouer sur tous les registres, mêlant révélations et promotions, puisqu’elle s’occupe des relations publiques de certains artistes. Une ambiguïté qu’elle n’est pas la seule à entretenir. Le photographe Pascal Rostain, 55 ans, toujours un cigare au bec et une anecdote sous le coude, traque les people tout en étant leur intime. Il connaît Carla Bruni depuis l’enfance, a travaillé avec Valérie Trierweiler pendant vingt-cinq ans à Paris Match, il l’a même hébergée un temps avec Hollande pour quelques soirées, raconte-t-il dans Voyeur. Mémoires indiscrets du roi des paparazzis (Grasset). Une proximité qui, il le dit lui-même, l’empêche parfois de montrer ses photos.
Une autre raison pousse à laisser certains clichés dans des coffres fermés à double tour. Car désormais, si les politiques sont traités comme de « vrais people », en échange, ils n’hésitent plus à envoyer des convocations en justice. « Il en tombe toutes les semaines, et même plusieurs, commente un journaliste. Dans un sens, si on n’en avait pas, cela signifierait qu’on fait moins bien notre boulot. » Pierre Moscovici a attaqué un titre après la publication d’une photo de lui à la plage avec sa jeune compagne… Rachida Dati, Eric Besson également ; Arnaud Montebourg et Audrey Pulvar aussi. « Depuis plusieurs années, il y a une augmentation du nombre de procédures », confirme Me Delphine Pando, avocate de Closer. Même si parfois la justice se retourne contre eux. Aurélie Filippetti à l’île Maurice, alors que l’Elysée avait demandé à ses ministres de rester disponibles et joignables pendant leurs vacances, était furieuse de voir ses photos de vacances publiées… Mais la ministre de la Culture a perdu face à Voici.fr (mais gagné face à Closer seulement parce que l’image d’elle en maillot avait fait la couverture). La justice a avancé le « droit légitime à l’information dans une société démocratique, devant lequel doit céder la protection de la vie privée ». Mais il arrive aussi que pour une même information, seule la presse people soit visée. « C’est un peu le délit de sale gueule », regrette l’avocate. Concernant l’affaire Hollande-Gayet, seul Closer est pour le moment poursuivi.
De quoi tempérer certaines ardeurs éditoriales. « Du coup, on ne s’autocensure pas, mais on fait attention… », reconnaît Fabrice Argelas, rédacteur en chef adjoint à Voici depuis 2005, qui a commencé sa carrière à Globe et Libération. « On n’y va que si le bénéfice est évident », ajoute-t-il. Il faut dire que certains avocats en ont fait un vrai business, allant jusqu’à convaincre les stars américaines de porter plainte en France, comme Jude Law, Brad Pitt et Angelina Jolie, Scarlett Johansson, Bradley Cooper… Aux Etats-Unis, le droit à la vie privée n’existe pas, la France est beaucoup plus sévère en la matière. « Au moins, avant, on pouvait se rabattre sur les stars américaines puisque les Français deviennent de plus en plus procéduriers, mais là ça devient compliqué… »
Pour échapper à la Justice, les nouveaux supports people ont opté pour une approche plus empathique (moins d’attaques sur le physique, un ton plus larmoyant). Le site Pure People, né en 2007, a choisi, lui, de ne diffuser aucune « paparazzade », préférant les tapis rouges et les photos officielles de stars et de politiques. « La ligne éditoriale, très soft, fait que le nombre de procès est limité. Depuis la création du site, on en est seulement à une vingtaine de procédures », se félicite Me Armelle Fourlon, avocate de Pure People. C’est peu. En mars 2013, le site attirait, selon les chiffres de l’agence Aegis Media, 3,2 millions de visiteurs uniques par mois.
Même en perte de vitesse, la presse people reste donc aujourd’hui une « presse puissante », insiste Isabelle Vignon, directrice des études plurimédias chez Aegis. « En termes d’audience, cela correspond en cumul à 8 millions de lecteurs, dont 5,5 millions de femmes. » Une exposition que les politiques vont devoir apprendre à gérer. « On peut supposer qu’ils vont peut-être se méfier davantage, estime Christian Delporte. S’il revient, Nicolas Sarkozy fera sûrement bien plus attention, comme cela avait été le cas à la fin de son quinquennat. » De quoi rendre encore plus compliquée la tâche des paparazzis et de cette presse qui tente aujourd’hui de capitaliser sur son récent succès. « N’exagérons pas, sourit Sébastien Valiela, auteur également de la photo révélation de Mazarine dans Paris Match. Des coups comme ça, il y en a un tous les vingt ans. » Le prochain ? Chacun sait que celui qui obtiendra la photo de François Hollande et Julie Gayet réunis comme deux amoureux tranquilles aura gagné une nouvelle bataille. Le feuilleton n’est pas près de se terminer.
Elsa Guiol and Stéphanie Marteau
M le magazine du Monde, « Y a-t-il un président pour sauver la presse people ? », Elsa Guiol et Stéphanie Marteau, 8 février 2014