Le 8 février 2014, M le magazine du Monde a publié ces deux dossiers sur les paparazzi. Ils ont eu la gentillesse de nous laisser les republier.
L’art du scandale
Ils se surnomment eux-mêmes « les rats ». Considérés comme la lie des photographes, les paparazzis alimentent pourtant une presse très populaire et sont devenus une source d’inspiration pour les artistes. Le Centre Pompidou-Metz les met à l’honneur, jusqu’en juin, dans une exposition qui explore les liaisons dangereuses entre les stars et ceux qui les traquent.
Les paparazzis font une entrée triomphale au musée. Plus précisément au Centre Pompidou-Metz, à partir du 26 février, avec une exposition intitulée Paparazzi ! Photographes, stars et artistes. Le monde de l’art étend constamment son champ d’analyse à de nouveaux territoires — les images des reporters de guerre, les photos de famille et même la documentation des entreprises. Mais les paparazzis, dans leur ensemble, méritent-ils une telle consécration ?
On l’a mesuré au malaise des médias au moment de « l’affaire » Gayet-Hollande, la photo de célébrités reste une activité sulfureuse. Même aux yeux de ceux qui l’encouragent et la consomment à longueur de journée (voir p. 35). C’est-à-dire une grande partie des gens. La moitié des Français a, chaque semaine, un magazine « people » entre ses mains. Mais la photo de célébrités est encore une honte.
Les photographes spécialisés dans ce domaine sont considérés comme la lie de la profession. « Entre nous, on s’appelle les “rats” », indique le paparazzi Pascal Rostain dans le catalogue de l’exposition — celui-ci n’a d’ailleurs pas hésité à coller à la métaphore, faisant littéralement les poubelles des stars pour en publier le contenu. Ironie, il n’y a pas si loin entre le photographe de guerre, vu comme l’aristocrate du métier, et le traqueur de « people » : nombre de professionnels passent de l’un à l’autre, souvent poussés par la nécessité économique. Ainsi Nick Ut, auteur de l’image de la petite Vietnamienne brûlée au Napalm en 1972, a aussi signé une vue de la starlette Paris Hilton dans une voiture de police en 2007. Les images sélectionnées par le Centre Pompidou éclairent d’un jour cru les dessous et les ressorts de cette séduction étrange qu’exercent sur nous ces images, auréolées d’une désapprobation aussi générale qu’hypocrite. Parangons des excès de la société du spectacle, les photos des paparazzis, mises les unes à côté des autres, étalent le voyeurisme insatiable d’un public avide de détails, des plus sordides aux plus triviaux. Paris Hilton en larmes après s’être fait arrêter pour excès de vitesse, Johnny Hallyday au bord de l’épuisement après un concert : la photo de paparazzi prend souvent la forme d’un exercice d’humiliation publique.
Chasseur d’un côté, victime de l’autre ? Quand bien même la relation entre photographe et célébrité est plus complexe que cela — certaines stars négocient de fausses photos volées pour servir leur image —, le spectateur est toujours placé dans une position de toute-puissance, même illusoire. La caractéristique de la photo de paparazzi étant d’avoir été volée, on goûte à travers elle un plaisir redoublé car clandestin, interdit. Auquel s’ajoute souvent le piment du sexe (l’adultère) et de la violence. Cette dernière s’affiche ouvertement sur l’image : violence de la star qui se défend, quand Mick Jagger fait voler les tasses à café en direction du paparazzi ; violence du photographe qui prend une image intime sans autorisation.
Les images alignent une étonnante typologie de figures de refus, de dissimulation, de détresse… Celles-ci mettent d’autant plus mal à l’aise que dans la majorité des cas, la scène oppose une meute de photographes hommes — le métier est quasi exclusivement masculin — à une proie femme — les célébrités les plus pourchassées ont pour nom Jackie Kennedy, Lady Di, Britney Spears, Liz Taylor… Cette dimension sexiste n’a pas échappé à la plasticienne Cindy Sherman, qui s’est mise en scène dans des images rappelant l’univers de la photo volée. Les artistes sont nombreux à s’être approprié le phénomène, tournant vers eux un appareil photo inquisiteur, poussant jusqu’au vertige cette exigence de dévoilement absolu que les paparazzis incarnent.
Claire Guillot
M le magazine du Monde, « L’art du scandale », Claire Guillot, 8 février 2014