Lada, parce que je le vaux bien…
En novembre 2020, l’Arménie sort meurtrie de la guerre de 44 jours qui l’a opposée à l’Azerbaïdjan. On pourrait faire mieux comme ambiance. Photographes d’origine arménienne, il nous est apparu comme une évidence que nous devions, mon père, mon fils et moi-même nous rendre en Arménie afin de rapporter des images sur la situation et le patrimoine menacé par les conséquences de la guerre. Quand on part avec une mission pareille, il faut ouvrir l’œil. On n’a pu ignorer qu’en Arménie, quelles que soient les circonstances, les voitures Lada, vestiges de l’ère soviétique, font toujours partie du tableau.
En effet, nous n’étions jamais seuls à parcourir les routes en long et en large: bien souvent nous dépassions allègrement les vieilles Lada qui sillonnent, inlassables, les routes et « les moins-routes » de toute l’Arménie. Sur les pistes de terre parsemées d’ornières, en revanche, ce sont les Lada, véritable force tranquille, qui nous dépassaient en rigolant…
De la Jigouli, le modèle de base, à la Lada Niva, ce petit 4×4 baroudeur, increvable, boueux en hiver, poussiéreux au cœur de l’été, on en croise encore de toutes les couleurs. Elles abordent bravement les pentes les plus raides, les chemins les moins carrossables et se faufilent modestement entre les belles Mercedes ou les SUV des nouveaux riches post-soviétiques. Certaines sont rutilantes, bichonnées avec amour par leurs propriétaires collectionneurs, d’autres assurent leur travail comme un vieux cheval de labour, sans broncher et sans prétention, portant ballots, caisses, outils.
Comme les veilles Américaines à Cuba, les Lada composent les paysages de l’Arménie. Ornement incontournable des étendues désertes, toutes pareilles et toutes différentes, un charme vintage imbattable: elles sont sympas ces bagnoles!
Elles visitent les monastères enneigés, attendent sagement sur le parvis les conducteurs partis allumer quelques cierges comme le veut la tradition.
On les voit filant dans les paysages magnifiques du haut plateau montagneux, libres, se moquant bien des limitations de vitesse. Eté comme hiver, bravant les brumes, la neige, le verglas, la chaleur, elles transportent des Arméniens tout sourire, cigarette en main, entassés dans un habitacle étriqué au confort rudimentaire, et écrasés sous des tonnes de paquets plus ou moins solidement amarrés sur les toits de ces petites voitures rafistolées aux carrosseries burinées par les années et les loyaux services.
Elles participent à tous les évènements de la vie des habitants: elles sont de tous les mariages et aussi des enterrements. En 2023, courageuses, elles ont permis à bien des familles arméniennes de quitter, lors d’un ultime voyage, l’Artsakh vidé de ses habitants lors du nettoyage ethnique orchestré par l’Azerbaïdjan.
Ce sont ces compagnes fidèles d’une époque révolue dont j’ai voulu ici tirer le portrait : parce qu’elles le valent bien!
Lydia Kasparian