Une rétrospective au Jeu de Paume de Tours est consacrée au photographe qui a fait de la géométrie du monde son mantra. Elégants jeux d’ombres et de lumières qui révèlent l’architecture humaine.
« Vous avez l’âme d’un architecte ». La phrase est celle de Le Corbusier, ami du photographe et avec qui il travaillera sur une longue période pour donner à voir sous des coutures exceptionnelles ses bâtiments. Pourtant Lucien Hervé se rêvait peintre au début de sa vie et il continuera de traquer les motifs comme un impressionniste l’aurait fait.
Tout commence à Paris dans les années 30. Lucien Hervé, né en Hongrie en 1910, pose ses valises dans la capitale française alors qu’il est âgé de dix-neuf ans. Il découvre la photographie.
Ses premiers travaux qui sont présentés dans l’exposition montrent une approche très distancié vis-à-vis de ses sujets. Du balcon de son appartement situé au septième étage d’un immeuble parisien, il capte l’image des passants : soldats, personnes en train de faire du vélo, coureurs…Il nomme ses photographies PSQF, acronyme pour dire : « Paris Sans Quitter ma Fenêtre ». Ainsi prend-t-il des silhouettes fugitives qui habitent pour un instant l’espace public. C’est la nuque d’une femme assise au bord de la Seine et que nous devinons tout juste. Ce sont les jambes de visiteurs du Louvre qui attendent à côté de l’entrée du musée. C’est une ombre qui passe sur une avenue béante d’un vide abyssal.
« Il cherchait la géométrie »
Lucien Hervé excelle dans les jeux d’ombres et de lumières. Tenant d’une photographie en noir-et-blanc, il n’hésite pas à prononcer les contrastes. Telle est par exemple cette image intitulée « L’Accusateur » et qui représente un enfant indien, adossé contre un mur, dont le visage est caché par l’ombre d’un toit. Tel est aussi le portrait qu’il fait de son ami Le Corbusier. L’architecte pose, une main contre un mur de béton – son oeuvre – et regardant le lointain à côté d’un dessin de son Modulor. Là aussi l’image est taillée par une ombre géante. « Il cherchait la géométrie et la rigueur. Il détestait l’anecdotique », raconte son épouse Judith Hervé, « naturellement cette géométrie se retrouve partout. Y compris dans les portraits ». En 1949, Lucien Hervé immortalise Henri Matisse dans son atelier. Il se concentre sur la posture du maître de la peinture moderne. Il photographie une de ses mains. Dans l’exposition, à côté, sont également présentés des portraits plus intimes de la vie du photographe. Une paire de jambes, des épaules dénudées… « Lucien Hervé choisissait de recadrer ses photographies », explique Imola Gebauer, la commissaire de l’exposition, « ainsi il pouvait facilement souligner les formes qu’il cherchait, révéler des corps, aussi, la géométrie ».
Palmyre
Le plus géomètre des photographes va devenir, à l’aube des années 50, le photographe attitré du célèbre architecte Le Corbusier. Lucien Hervé se régale des bâtiments constructivistes de son ami. Il en fait ressortir les arrêtes tranchantes, les sphères ondulantes, l’immensité tout autant que l’utopie d’un habitat moderne. Si le photographe s’en fait une spécialité, il n’oublie pas les architectures plus anciennes. Dans les années 60, il va en Grèce photographier le Parthénon et l’Acropole. Il fait un passage à Persépolis en Iran ainsi qu’à Palmyre en Syrie. Il nous laisse une image du Temple de Bêl (aujourd’hui détruit par l’Etat Islamique). Il va en Espagne où, ému par la récente guerre, il immortalise les petites maisons blanches des paysans. En voyageur indolent, il nous livre des paysages tantôt structurés, tantôt en ruines. Son oeil va toujours vers des motifs où la géométrie est prononcée, où une certaine structure graphique se dessine. Cette approche est peut-être encore plus magnifiée dans une série qu’il a réalisé dans l’optique d’un livre et dont Le Corbusier fera la préface.
« Une architecture de vérité »
Ce livre est consacré à l’abbaye du Thoronet dans le Var, découverte grâce à Le Corbusier. Lucien Hervé trouve peut-être ici le lieu le plus propice à son art. Il capte avec élégance la solennité de l’endroit. Comme le raconte son épouse, alors qu’il disait à un journaliste d’une émission de télévision qu’il était athée, le journaliste lui a répondu : « On ne peut pas ne pas croire en quelque chose quand on voit vos images ». Le Corbusier dira qu’il y a dans cette abbaye une « architecture de vérité » et que son ami Lucien Hervé saura en révéler la quintessence.
Plus touchantes encore sont peut-être les dernières photographies qu’il a faites alors qu’il était atteint de la sclérose en plaque. A partir des années 80 et jusqu’au début des années 2000, Lucien Hervé, parce qu’il ne peut plus voyager, prend régulièrement en photographie des fragments de son appartement. Ici, c’est la porte vitrée de la douche. Ici, le plafond décoré au motif d’une toile de Mondrian. Là, c’est la porte d’entrée. Ici, un morceau de sa bibliothèque. Photographies en couleur, elles disent beaucoup d’un passionné des décors qui aura su trouver la beauté partout, y compris dans le plus intime des habitats, chez lui.
Jean-Baptiste Gauvin
Jean-Baptiste Gauvin est un journaliste, auteur et metteur en scène qui vit et travaille à Paris.
Lucien Hervé, Géométrie de la lumière
Du 18 novembre 2017 au 27 mai 2018
Château de Tours
25 Avenue André Malraux
37000 Tours
France