Agnès de Gouvion Saint-Cyr a tenu à partager avec nous son coup de cœur 2011 pour Lu Nan. Voici son texte :
« Les festivals ont ceci de particulier qu’ils vous proposent ce que depuis de longs mois vous vous préparez à voir ; et puis soudain, la magie opère, la surprise aussi. Ce sont d’abord ces petits écoliers de Mohammad Golchin qui nous emportent dans leur fraîcheur, dans la douceur des tons pastel et la rigueur de l’hiver iranien, puis, travail longuement mûri, la vie quotidienne des paysans tibétains telle que la présente avec beaucoup de conviction et autant de modestie le photographe chinois Lu Nan.
J’en avais vu les prémices en projection, il y a cinq ans environ, au Festival de LIanzhou alors qu’il déclarait déjà s’inquiéter de la disparition inexorable des modes de vie traditionnels chinois. Il nous a offert à Perpignan un travail rigoureux dans la forme et sur le fond, une page d’éternité, un livre des merveilles que le talent d’Abax a restitué dans toute sa délicatesse.
Les notes quelque peu syncopées de Nyebe Nilam de Yungchen Lhamo scandent la lente, longue et laborieuse procession de la famille de paysans tibétains, portant les outils à l’épaule dans leur pénible ascension de la montagne, sur des chemins rocailleux et escarpés qui les conduisent jusque sur leurs terres.
Dès lors, les travaux des champs sont décrits avec une grande minutie et une incroyable pureté visuelle : labours avec des charrues primitives qui tracent les sillons de terre lourde, la femme à gauche, l’homme à droite, soulignant ainsi l’importance de la famille, socle de la société chinoise, moissons qui rassemblent les adultes et les enfants dans des gestes séculaires avant le repos qui rapproche les corps. Puis nous pénétrons dans l’intimité de ces familles où le traitement en noir et blanc accroit le sentiment d’éternité qui se dégagent de scènes traitées de manière picturale : la mère qui nourrit à la fois son enfant et le jeune agneau, le jeune homme qui, d’un geste tendre, caresse le ventre arrondi de sa femme enceinte, les petites filles qui appliquent de la crème sur le visage buriné de la grand mère, l’adolescent que la farine transforme en Pierrot Lunaire…
Quant à la galerie de portraits finale, elle renvoie, à n’en pas douter, aux œuvres d’un Penn lorsque, inspiré par l’empathie qu’il ressentait pour son modèle latino américain, il en soulignait la fragilité mais aussi la dignité. Bref, Lu Nan raconte une histoire simple avec un talent fou. »
Agnès de Gouvion Saint-Cyr