Se rend-on compte de la nocivité de l’avidité humaine à toujours exploiter davantage ce que la terre nous offre pour plus de prospérité matérielle à court terme ? Mais quelle est cette prospérité qui nous cache la réalité des conséquences fâcheuses de ce que Lu Guang appelle pudiquement « le développement » ? On pourra toujours renvoyer le miroir de l’histoire aux pays dits déjà-développés, et c’est le langage de revanche emprunté par la Chine, « vous aviez suffisamment abusé de la Terre et c’est aujourd’hui notre tour et vous n’avez pas de leçon à nous donner ».
Mais aucun pays n’est allé aussi loin sur le saccage de l’écosystème, aucune économie n’a été aussi prédatrice sans scrupule. Si en Occident il y a eu la naissance du mouvement vert et la généralisation d’une culture écologique, tout ceci est encore en état embryonnaire en Chine. Il reste vrai qu’aucun pays n’a jamais eu une population d’un milliard et demie de bouches à nourrir, de corps à habiller et à réchauffer ou à transporter, et tout cela en un temps record, en trente ans ! En trois décennies la guerre que livrent les développeurs industriels contre la Mother Nature est terrible, qui laissera des séquelles à très long terme, la vision que donne a voir le courageux soldat Lu Guang dans son combat depuis quinze ans est remarquable non pas par le spectaculaire, au contraire par l’absence du spectaculaire car elle est hyperréaliste tout simplement.
Lu Guang est venu me dire un jour en 2009 : « je me fais du souci pour l’eau que tu bois à Shanghai ». Il me montre une carte sur laquelle il a placé le long du Yangtsé des centaines de pastilles de couleurs différentes, « ce sont les industries de toutes sortes, dont des multinationales des Fortune 500, des aciéries, des papetières, des centrales électriques, des fabriques de textiles, usines de teinture, usines chimiques et parcs industriels, qui tous déversent leurs eaux usagées sans traitement sans filtration directement dans le Fleuve. Et le Yangtsé alimente le Lac Taihu qui est le réservoir d’eau potable de Shanghai, ta santé est compromise, cher ami ! » Et il me montre sur son ordinateur ses images effrayantes, c’était avant qu’il ne reçoive le prix W. Eugene Smith.
Lu Guang pratique une véritable photographie de paysage altéré par l’homme (man-altered landscape), comme ce plateau de pâturage en Mongolie Intérieure parsemé de trous béants du fait d’une décennie d’exploitation de mines de charbon à ciel ouvert…et il y a ces plans rapprochés des portraits de victimes, les malades du cancer, les enfants empoisonnés par le plomb, les orphelins abandonnés à cause de leur handicap…à cause de la pollution de l’eau, la pollution de l’air, et la contamination du sol. Il y a aussi la pauvreté, les laissés-pour-compte du grand bond en avant économique de la Chine.
Des trous de la Mongolie Intérieure au trou creusé par un paysan pour enterrer un enfant dans son champ, Lu Guang raconte : « je faisais une enquête sur les orphelins à Lankao dans la province de Henan, lorsque j’aperçu un paysan portant le corps sans vie d’un nourrisson, j’ai réalisé qu’il allait le jeter dans une poubelle. J’ai dû l’arrêter et le prier de l’enterrer avec un minimum de décence. Le paysan dit qu’une jeune fille du village travaillant à l’usine en ville est revenue enceinte et a accouché d’un enfant malade et handicapé, comme elle n’avait pas d’argent pour le soigner, elle l’a abandonné. »
Jean Loh
Jean Loh est rédacteur spécialisé en photographie. Il vit et travaille à Shanghai, en Chine.
Lu Guang, Développement et Pollution
Festival Visa pour l’Image
Couvent des Minimes
12 Rue Louis Bausil
66000 Perpignan
France