« Jennifer’s family » est avant tout l’histoire d’une rencontre, dont on découvre les débuts rugueux au dos du livre et que rappelle l’épaisse couverture à la texture de carton recyclé rigide sur lequel il s’ouvre. Jennifer et Louisa ont grossièrement le même âge, mais tout le reste semble les distinguer, du look au contexte social. Autant d’éléments visibles associés à des clichés amers qui rendent les premiers contacts électriques. Etudiante aux cheveux dorés étincelants, Louisa décide d’enquêter sur la détresse sociale dans un quartier populaire de Providence, Rhode Island, ou le taux de criminalité n’a d’égal que celui du chômage. S’isolant du tumulte des rues, elle prend pour sujet le vacarme intime d’un appartement, dans la banlieue sud, ou vivent Jennifer, son compagnon et leurs quatre enfants. Le livre raconte leur vie à voix et temporalité mêlées. Aux images déstructurées et agitées par le rythme de la famille répondent des textes dans lesquels chacun dévoile peu à peu son histoire. L’accent, l’argot, le ton incisif et le rythme houleux y est retranscrit. Il n’y a ni complexe ni jugement dans ce désordre permanent, ce débordement de chair, ce déluge de mouvements, cet effusion de sentiments. Juste une débauche de vie malgré les conditions orageuses qu’elle impose. Chaque page dialogue pour rendre compte d’une réalité complexe que les explosions de joie jalonnant l’ouvrage pourrait égarer. Aux jouets éparpillés sur le sol répond la peluche démesurée que Jennifer serre dans ses bras, réfractaire et fragile, peu avant le texte racontant son enfance volée par un beau-père abusif. Aux sourires de sa mère répond la bouteille d’alcool qui ne semble jamais la quitter avant que l’on apprenne que son fils a disparu à l’âge de neuf ans, détruisant sa vie telle une bombe radioactive. Expression d’optimisme autant que de rage, le livre suit la cadence d’une vie que les éléments extérieurs ne rendent que plus fiévreuse. Au fil des images et des textes se déroule la vie de toute une classe sociale, sans jamais ou presque quitter les murs d’un appartement mouvementé. Ce récit croisé confirme la valeur documentaire d’un nouveau style narratif faisant se chevaucher différents langages.
Laurence Cornet
“Jennifer’s Family”
Photographies de Louisa Marie Summer
Texte de Mairéad Byrne
Schilt Publishing
25 euros