Le galerie dédiée à l’œuvre du photographe allemand Lothar Wolleh raconte une amitié tissée autour des arts, celle de deux personnages dont les pratiques ont marqué les pays respectifs, l’Allemagne et les Pays-Bas. En ligne de fond, Delft, ville-berceau du plasticien Jan Schoonhoven, également sa muse.
Lumière, ombre et structure sont l’empreinte photographique de Lothar Wolleh (1930-1979), admirateur et ami des artistes dont l’œuvre dense a été conservée et révélée par son fils, Oliver Wolleh. Si ses portraits d’artistes sont célèbres, son nom l’est moins. Pourtant, Lothar Wolleh a réalisé le portrait et documenté la pratique artistique de plus de 160 figures durant sa carrière, de Joseph Beuys à Gerhard Richter, en passant par René Magritte, Niki de Saint-Phalle ou encore Jan Schoonhoven (1914-1994) : artiste néérlandais connu pour ses reliefs monochromes, faits de carton, de papier et peints à l’acrylique.
Delft – Düsseldorf
Hiver 1968, Lothar Wolleh rejoint Schoonhoven à Delft avec comme volonté de s’immerger dans son monde – comme c’est son habitude pour travailler afin de saisir l’inextricabilité de ses sujets. Cette rencontre entre Schoonhoven et Wolleh cristallise la connexion artistique de l’époque entre deux villes, celles de Delft et Düsseldorf, où vit et travaille Wolleh en tant que photographe pour la publicité.
Quelques années auparavant, à l’aube des années 60, Schoonhoven co-fonde le groupe expérimental “NUL”, branche néerlandaise du groupe international “ZERO” initié par les artistes Heinz Mack et Otto Piene à Düsseldorf et dont Wolleh était un fervent connaisseur. Cette école, née d’une approche radicalement moderne, renverse le chevalet pour impulser le nouveau départ artistique d’une Allemagne culturellement mise à mal par la guerre. Au Pays-Bas, Schoonhoven et son groupe plaident pour une « représentation objective et neutre de la réalité », se traduisant, chez l’artiste, par une exploration sérielle du motif de la grille, un rejet de la couleur et une sensibilité particulière à la lumière.
Ombre – Lumière
Cette lumière, tout aussi déterminante dans la vie de Lothar Wolleh, guidera son approche photographique. Wolleh voit sa maison d’enfance du quartier de Wedding détruite durant la Seconde Guerre mondiale par les bombardements des Alliés. À partir de 1951, il sera condamné à six années de travail forcé dans les goulags soviétiques en Sibérie pour cause de suspicion d’espionnage du régime communiste au profit de l’Ennemi américain. Pourtant, au cœur de cet épisode d’horreur et de pénombre durant lequel Wolleh confectionne un appareil photo de fortune, les aurores boréales qu’il y admire forgent en lui une fascination pour la lumière qui le mènera à la photographie.
Dans les portraits de Wolleh, les ombres et les lumières sont si hautes qu’elles dérobent volontairement des détails du champ donnant une dimension structurale à l’image. Oliver Wolleh confie lui-même que restituer les photographies de son père telles qu’elles avaient été pensées lui a demandé tout un travail de compréhension de sa pratique et donc, de son vécu.
Rigueur – Sensibilité
Quant à Schoonhoven, bien que reconnu et même récompensé de son vivant, l’artiste conserve jusqu’en 1979 son poste au PTT (poste, téléphone et télégraphe) de la Hague. Delft, sa ville natale, ne se situe alors qu’à une vingtaine de minutes. Lothar Wolleh le photographie au cœur de son processus de création comme lové dans les rues de Delft. L’espace intimiste de la Lothar Wolleh Raum consacre un mur entier aux mains de Schoonhoven au travail, capturées de haut par Wolleh, en une succession de prises à quelques secondes d’intervalle. Un tableau qui résonne avec le processus répétitif des motifs, caractéristique de la démarche conceptuelle de l’artiste.
Cette rigueur dans la pratique de Schoonhoven et cette sensibilité relative aux matériaux rudimentaires qu’il utilise transparaissent dans les clichés de Wolleh qui joue avec les perspectives pour offrir des compositions fidèles à la personnalité de l’artiste. C’est le cas avec les pavés des rues de Delft, source d’inspiration importantes des grilles de Schoonhoven, il le capture en plongée en train d’allumer une cigarette, comme un hommage à cette référence. Lothar Wolleh est irrémédiablement un maître du portrait, parvenant ici à saisir, à l’aide son hasselblad, chaque élément constitutif de l’artiste : son allure dandy, son goût pour les églises, son obsession pour les lignes et les formes géométriques ou encore, sa perpétuelle recherche de mouvement et de rythme.
Noémie de Bellaigue
“A Gaze upon Delft” à la Lothar Wolleh Raum jusqu’au 6 septembre 2024.
Lothar Wolleh Raum
Linienstraße 83A,
10119 Berlin