2014 a vu de nombreux ouvrages sur l’Afghanistan : certains rétrospectifs, pour mettre la guerre en perspective, d’autres historiques, pour offrir encore plus de perspective. Celui que viennent de publier le photographe Lorenzo Tugnoli et l’écrivain Francesca Recchia est d’un autre type, ancré dans son présent et son futur, à l’heure où le pays semble avoir un nouveau président. C’est un portrait intime de sa capitale, Kaboul, à travers sa scène culturelle, un témoignage poétique de l’art comme véhicule de la démocratie. On y est parachuté comme dans une ville inconnue et on en repart la tête pleine de rencontres. « The Little Book of Kabul a été conçu comme un livre qui se révèle lentement, à la fois en lui-même et sur ce qu’il raconte. Nous voulions partir sans connaître la fin de l’histoire », explique Lorenzo Tugnoli. Et de fait, on entre sans formalité dans un studio d’enregistrement aux mille détails : les micros, la lumière tamisée, les vestes en cuir, la concentration des musiciens, les paroles. On entend les accords rock de Kabul Dreams sonner dans les mots de Francesca Recchia. Ils vibrent avec la même intensité que la ville, dont l’auteure traduit les notes en lettres dans un chapitre intitulé « Contrepoint sur un chantier », conçu comme une partition pour opéra où elle introduit chaque outil comme un instrument à la ligne mélodique distincte : la brouette, le papier de verre, la pelle, la scie, le marteau, le deuxième marteau, le poste de radio du chantier, les claquements de sandales, chacun se superpose pour composer la symphonie stridente d’une ville vibrante où la résilience est garante de la liberté d’expression. « L’Afghanistan est un pays plein d’injustices, dit Nasir. Il n’y a pas grand chose que l’on puisse faire. Ils peuvent prendre votre corps. Ils peuvent vous tuer. Mais ils ne peuvent pas prendre votre âme ou vos idées. Ils ne peuvent pas tuer un nuage. » Nasir vient de rejoindre le CCAA, le Centre d’art contemporain d’Afghanistan, fondé par Ustad Omarzad, que l’on retrouve à plusieurs reprises. Au lyrisme des mots répond celui des images, avec leur noir et blanc au grain dense, leur mouvement libéré, leur refus de l’exotisme et l’expression saisissante des sujets. Chaque photographie distille un émouvant optimisme, comme celle d’Arifa posant au CCAA pour un étudiant. Le visage baigné de soleil, encerclé par les plis sculpturaux de la burqa qu’elle a relevée sur le dessus de sa tête, elle ferme les yeux avec aux lèvres un sourire discret qu’accentue une irrépressible fossette. Il y a une toile blanche en arrière-plan — une toile vierge sur laquelle se mêleront les lignes de l’histoire en train de se faire.
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