Pour L’Œil de la Photographie, les livres photographiques comptent autant qu’une exposition ou un portfolio. Ils font l’histoire et l’actualité du médium.
Notre correspondante Zoé Isle de Beauchaine porte un regard inlassablement curieux et averti sur les dernières parutions.
Pour son deuxième livre, De Marbre, publié aux éditions Secondes, le photographe français a passé trois ans dans les coulisses de l’Opéra de Paris.
De Marbre est avant tout un objet d’art. De sa couverture élégante à la beauté de ses tirages, de la richesse de ses pages à la subtilité de sa sélection, chaque détail a été soigneusement pensé pour engendrer un livre rivalisant de raffinement avec son sujet. Son grand format happe entièrement le lecteur dans l’atmosphère mystérieuse de l’Opéra de Paris, au rythme d’un défilé, très cinématographique, d’images tamisées et parfois insaisissables.
De ce lieu tout en majesté, Vincent Desailly a capturé les détails, avec en tête l’idée de « casser la matière pour obtenir un aspect pictural ». Après son premier livre (The Trap, 2020, Hatje Cantz Verlag) marqué par une écriture très américaine du documentaire, il souhaitait produire une série qui soit moins ancrée dans le réel : « j’ai commencé à faire des photographies plus attachées aux détails, des images dépourvues d’humains, ce qui n’est pas un terrain d’expression habituel pour moi. » En s’essayant à une pratique plus radicale, le photographe aspire à « montrer le vivant de l’Opéra. »
De fait, une force vitale jaillit de la rencontre entre la puissance brute des chorégraphies de Crystal Pite et Hofesh Shechter et le léché des formes dessinées par Charles Garnier. Les mouvements du corps de ballet répondent aux sinuosités des lignes architecturales. Les silhouettes fantomatiques des danseurs font écho à celle des statues, figures tutélaires de ce lieu centenaire. Aux dorures ornant le palais succèdent les arabesques nerveuses des graffitis et tâches de peinture qui habillent les murs des coulisses. L’ensemble du livre est construit sur ce jeu d’opposition entre classique et contemporain, qui insuffle à ce bâtiment légendaire une énergie nouvelle.
La série se clôt sur une nouvelle originale de la romancière Salomé Kiner, dont le ton à la fois « brutal et fluide » est pour Vincent Desailly le parfait pendant à sa propre esthétique. Comme lui, l’autrice n’avait jamais pénétré dans l’Opéra Garnier avant ce projet. Appartenant à la même génération et adoptant les mêmes codes, ils ancrent le regard d’une génération sur ce lieu mythique et intemporel.
Vincent Dessailly – De Marbre
Les éditions secondes, 2022
80 pages, français et anglais
Essai de Salomé Kiner
Disponible en librairies ou en ligne
https://www.vincent-desailly.com/
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