En réunissant huit artistes autour du thème du pli, la galerie Binôme, sous le double commissariat de Valérie Cazin et Emilie Traverse, propose une nouvelle fois une exposition collective ambitieuse et audacieuse. A travers les œuvres de Mustapha Azeroual, Hélène Bellenger, Anaïs Boudot, Marie Clerel, Alfredo Coloma, Michel Le Belhomme, Thomas Sauvin, Sergio Valenzuela Escobedo, comme à son habitude elle explore les limites de la photographie et ses échappées vers la sculpture, l’objet ou le pictural.
Ironie de l’art ou auto-dérision de la photographie, le pli dans le tapis d’Alfredo Coloma est extrait de la série Modern problems où les ratés du quotidien sont symboliquement associés à l’échec du modernisme. Mais économie du geste ne veut pas dire économie du regard et de la pensée dans cette association texte-image où la distance entre le réel, ici le trivial, et son image est des plus équivoques. L’image dans le tapis est à saisir au creux de la vague, dans un mouvement alternatif et poétique, pour ne pas dire politique.
Posture et photographie “anti-virtuose” que l’on retrouve chez Michel Le Belhomme dans la série Les deux labyrinthes. L’image #109, After Fischli and Weiss, est un clin d’œil à l’œuvre Rock on Top of Another Rock du duo d’artistes suisses. Le Belhomme y analyse le paysage comme un rapport de force à l’équilibre précaire. Réalisée sans photomontage, cette image de sculpture photographique enchevêtre les points de vue, jouant à la fois du déploiement, de l’instabilité mais encore d’un pied de nez au monumentalisme.
Hélène Bellenger interroge aussi l’œil au travail dans sa relation au paysage, avec la reprise de ce motif dans le circuit de l’imagerie commerciale. Issue de la série Placebo landscapes, Sans titre (posters) est une installation constituée d’une quinzaine de posters en rouleaux disposés au sol. L’iconographie éculée du coucher de soleil sur plage de sable fin est morcelée au gré de pans tubulaires qui ne laissent entrevoir qu’une partie de leur image. Dans cette contrainte, c’est au spectateur qu’il revient de se courber, de plisser les yeux afin de retrouver un point de vue au sein de cette reconfiguration spatiale des images.
Participant de cette même intentionnalité, Thomas Sauvin invite à la découverte de quatre-vingt-dix tirages photographiques cachés dans les dédales d’un album inspiré d’un nécessaire de couturière chinoise des années 60. Œuvre hybride, Xian recèle pour celui qui le manipule la même magie que celle entourant les cabinets de curiosité de la Renaissance et les armoires de pharmacopée chinoise.
Autre invitation au voyage métaphysique, Sergio Valenzuela Escobedo se penche à la surface réfléchissante de l’eau, des miroirs. En el reflejo del agua durmiente ou Narcisse est une série de dix photographies Polaroids, décollements de gélatine comme les prélèvements des méandres de ses réflexions sur l’appareil photographique, nouvel outil de connaissance et de rencontre avec l’Autre.
Image autrement auto-réflexive, La Bourboule, 22/10, 16h00 de Marie Clerel, nous emmène à éprouver sensoriellement la texture du pli. C’est une épreuve au cyanotype où seule la lumière du soleil laisse ses empreintes sur le tissu préalablement froissé et mal-mené. Image sans contact, cette photographie ne conserve que le relief de sa tourmente et la luminosité du lieu. Sa mise à plat, par le repassage et la tension du tissu sur le châssis, renvoie à la contemplation d’une photographie sans véritable référent, empreinte d’elle-même.
À l’inverse Phenomenon de Mustapha Azeroual est une photographie molle. Elle est à l’origine une prise de vue aérienne au téléphone portable basse définition, l’image d’un relief montagneux devenu totalement plat par la déperdition d’informations numériques. Azeroual la transfère sur la structure souple de papiers japonais par tirage à la gomme bichromatée. L’image pauvre se charge dès lors de la matérialité de ses plis et trouve dans ce nouveau support la matière de son sujet, le relief, les zones d’ombre et de lumière.
Différemment encore Anaïs Boudot, explore les processus d’apparition de l’image au sein de ses propres replis crée par les va-et-vient entre argentique et numérique. Issues de la série Fêlures, ces images hybrides de mers et de vagues perpétuelles évoquent les troubles de la perception et de la mémoire, l’impermanence des choses tels les pans d’un rideau prêts à se soulever.
L’œil plié
Galerie Binôme
Du 3 février au 25 mars 2017
19 rue Charlemagne
75004 Paris
France