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Lizzie Sadin remporte le 8e Prix Carmignac du photojournalisme

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Le 20 octobre a ouvert à L’Hôtel de l’Industrie (Paris, 6e) une exposition grave et saisissante. La photojournaliste Lizzie Sadin expose les clichés tirés de sa série Le piège – traite des femmes au Népal. L’exposition vient illustrer le 8e prix Carmignac pour le photojournalisme. Soutenue à hauteur de 50 000 €, la photographe française a pu mettre en lumière une forme d’esclavagisme moderne encore peu médiatisée dans une société ravagée après le tremblement de terre de 2015.

De mars à avril 2017, Lizzie Sadin s’est rendue au Népal afin de donner voix aux femmes victimes d’exploitation et d’esclavage sexuel et domestique. Deux ans plus tôt, le Népal connaissait un tremblement de terre de magnitude 7.8 qui, outre ses dommages matériels, mit à bas l’économie fragile du pays, ses structures sociales et ses équilibres démographiques. Le séisme provoqua près de 650 000 déplacements. Il plongea près d’un quart de la population dans une pauvreté entière comme pernicieuse. Ruraux comme urbains font alors face aux mêmes nécessités : se nourrir, survivre, faire vivre les siens. Peu à peu, il s’échafaude sur l’extrême pauvreté une violence en réseaux. Sur la misère, l’exploitation de l’homme par l’homme trouve son terrain le plus fertile.

Quand les hommes s’usent et meurent en silence sur les chantiers des grands travaux des péninsules arabiques, les femmes travaillent elles comme des bêtes à fantasmes. On leur fait miroiter monts et merveilles, elles n’ont qu’à venir à Katmandou, transiter par l’Inde, aller jusqu’en Corée ou servir de grands ducs au Quatar. Là-bas, le travail sera facile, l’argent également. Faux visas, faux passeports, fausses déclarations, faux travail. Le futur radieux n’arrive jamais. Les promesses sont toutes des fadaises répétées, des faux-semblants où leurs identités disparaissent derrière l’usage de leurs corps. Elles se retrouvent dans des cabines à « chanter », à « masser », pour avoir des « relations amicales », que toutes sont forcées d’accepter, car quoi, « c’est le métier », « ça n’a jamais tué personne ». Par ces mots, la puissance des litotes indique le degré de servitude. Les femmes sont cloitrées, elles vivent sur les lieux, leur salaire passe tout juste pour se nourrir, le reste des économies va aux familles, qui ignorent tout. On ment aux familles qui confie leurs enfants. Une fois asservis, les enfants mentent à leur tour. On ne dit pas ce qui n’est jamais advenu.

La force des photographies de Lizzie Sadin est de s’appuyer sur des témoignages. En littérature, notamment est advenue ce que l’historienne Annette Wieviorka a nommé « l’ère du témoin ». Pour Wieviorka, l’émergence de la figure du témoin a permis une nouvelle narration de l’Histoire. Le témoignage étend le domaine de l’Histoire à l’individu. Le témoignage restitue l’indicible. Il dépasse les chiffres et les faits. Il s’incarne. Les faits sont comme enrichis par « l’impossibilité de dire », de l’expression même de Luba Jergenson, traductrice de l’écrivain et ancien zek Varlan Chalamov (Récits de la Kolyma, éd. Verdier).

Or, peu à peu, le témoignage a franchi le passé pour donner à voir le présent. Il a gagné les arts visuels. De la littérature, il s’est muté en imagerie implacable, restituant la vérité par le canal de l’audiovisuel et de la photographie. Certes, le témoignage pose certaines questions. Il est utilisé à des fins malheureuses, il souffre de la comparaison des faits, son biais forcément vise la subjectivité et s’éloigne de l’ojectivisation. Reste qu’il peut être utilisé artistiquement avec équilibre. C’est le cas de Lizzie Sadin. Dans sa série Le piège – traite des femmes au Népal.

En l’occurrence, les témoignages des femmes-esclaves du Népal nous permettent de comprendre une situation jusqu’ici inconnue et peu médiatisée. C’est la fonction première du témoignage : donner à entendre et restituer une vérité par la sommes d’une ou plusieurs vies et voix. Hélas, dans la grande majorité des cas, les femmes-esclaves ne sont malheureusement pas conscientes d’être esclaves. Elles ignorent leur situation, elles ignorent le combat des ONG sur place. Leurs témoignages sont donc cruellement naïfs, comme désintéressés car ignorants. La puissance autant que le tragique de ces voix en sont comme augmentés. La nécessité de l’argent, le besoin de subvenir à leur famille, la survie sinon les aveuglent et de leur parole surgit cet écart entre la négation de leur droit premier et l’ignorance de ces libertés existentielles.

À ses femmes, Lizzie Sadin offre un espace d’expression autant qu’une fenêtre de compréhension sur leurs propres vies. Ce n’est pas le témoignage de chacune d’elles mais bien l’acte artistique de Lizzie Sadin qui, de la somme des voix devient un acte militant. C’est la transformation de ces témoignages en ensemble artistique qui donne aux regardeurs une réalité de notre monde contemporain.

En d’autres mots, sa photographie révèle une facette de l’esclavagisme moderne, façonnée par le libéralisme appliqué aux corps, aux êtres, aux trajectoires individuelles. Sa photographie est une vision kaléidoscopale, où le texte, l’histoire, le témoin importent autant que l’image elle-même. Et si le mot est parfois usité, lavé par des usages répétés, Lizzie Sadin donne à ses femmes une dignité retrouvée.

 

Arthur Dayras

Arthur Dayras est un auteur spécialisé en photographie qui vit et travaille à Paris.

http://www.fondation-carmignac.com/

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