Pendant dix ans, Lisa Ross s’est documentée sur les objets rituels et les lieux de sépulture des Ouïghours de la Chine occidentale. Avec sa nouvelle série énigmatique After Night, elle a revisité le Xinjiang pour y capturer un autre sujet de réflexion – le rituel commun du sommeil. Les photographies de cette série isolent des lits un peu fragiles, avec quelques couvertures ou des oreillers, dans un paysage désertique, vaste et aride. Comme pour ses précédents travaux, aucun humain n’est autorisé dans le cadre du tableau et nous sommes laissés dans le dilemme de déchiffrer ce qui ou lorsque, et même qui, la photo suggère.
Dans les images plus anciennes de Ross, des brindilles lacées et nouées avec des bouts de tissu de couleur vive suggéraient une ancienne installation d’art. De manière similaire, avec After Night, le spectateur s’imagine d’abord qu’un petit plaisantin a placé les lits pour satisfaire tout particulièrement notre délectation visuelle.
En fait, les lits sont pris exactement où ils sont, laissés par un agriculteur invisible s’occupant de sa moisson. L’art est à la fois accidentel – comme les lits sont en réalité un abri nocturne – et à dessein expressif. L’existence quotidienne réelle laisse planer un mystère, et la brillante lumière du jour des expositions de Ross ne révèle que la matérialité simple des lits, les couvre-lits complexes et le paysage lunaire de leur environnement. Recontextualisés, comme l’on retrouve les objets d’art et élevés dans une immobilité esthétique, les lits font preuve d’une urgence visuelle qui transcende le désir de notre esprit à rejeter le côté domestique de la chose.
En nous donnant ces aperçus d’un terrain à 12000 miles de là, Ross se place comme une anthropologue peu probable. Elle contrecarre le savoir avec une incompréhension infinie, comme ces images impitoyables et non familières imposent une distance, exagérée par l’absence de marqueurs spécifiques de lieu et de temps. Comment pouvons-nous imaginer le jour et la continuité d’une journée qui suit la nuit ? Parfois, une paire de lits brise la solitude mystérieuse qui s’incarne dans cette série. Si simples, désolées, et surprenantes dans la composition, les photographies de Ross sont des vestiges et des suggestions d’un monde étranger de l’étrange.
Chaque nouvelle série basée sur les Ouïghours revigore notre imagination, alors même que les images de Ross restent inhabitées. Comme Shéhérazade, Ross prépare toutes ses histoires sans en préparer la fin. Avec After Night, nous aspirons non seulement à savoir où elle a voyagé et ce qu’elle a vu, mais pour découvrir le lieu qui n’existe que dans ses photographies, sachant que si nous arrivons à cette même place, ses histoires se propager dans les airs, tout comme Shéhérazade.
Asya Geisberg, 2011
Lisa Ross: After Night
Jusqu’au 17 décembre 2011
Asya Geisberg Gallery
537B West 23rd Street
New York, NY 10011
(212) 675-7525
