À Téhéran, en 1943, je suis assis en train d’attendre que la séance du portrait officiel commence, et soudain Staline apparaît devant moi. Bel uniforme, belle casquette. Quelqu’un avait dit qu’il avait fait faire son uniforme beige chez Saks sur la Cinquième Avenue. Personne n’avait pu le prouver ou l’infirmer. Il marcha dans la pièce, et me regarda comme si j’étais un paysan des Balkans. Vous savez, il était lent mais très sûr de lui. J’étais si prêt que j’aurais pu le toucher. Aucune expression. Son visage état grêlé, comme un morceau de granit. Sa main droite était ratatinée comme celle du Kaiser. Et ensuite Churchill entra, dans son uniforme de l’Air Force. Il s’assit dans un fauteuil confortable. Il ressemblait à un ange colérique. Cupidon je dirais. Le siège du milieu était celui de Roosevelt. Soudain deux gardes du corps entrèrent en portant Roosevelt. Voici le président, le porte-cigarette aux lèvres, et ses jambes s’agitant librement. Un homme s’avança vers moi et me dit : « pas de photos ». Si j’en avais pris une, je suis sûr qu’il n’aurait pas hésité à me faire sauter la cervelle. Ils le posèrent sur une chaise et ses pieds continuèrent d’osciller. Ils les bloquèrent. Puis soudainement, ils reculèrent, et nous fûmes tous étonnés parce que ce pauvre invalide était soudain devenu Franklin D. Roosevelt. Je veux dire, je n’avais jamais rien vu de la sorte. La manière dont il s’était transformé.
(Interview du 19 May 1993. John Loengard, LIFE)