Dans une peinture, personne ne se plaint de ce que le sujet pose, mais tout le monde s’indigne de ce qui a l’air apprêté dans une photographie. J’ai cependant remarqué que si je me rapprochais suffisamment du visage, alors l’expression prise pour la pose ne comptait plus. Le visage devient alors un paysage : les lacs des yeux, les collines du nez, et la vallée de la fossette du menton.
Je capturais le photographe Brassaï. Il avait des yeux très proéminents, comme une grenouille. Comme je faisais ma mise au point, il leva ses mains et fit semblant de mettre ses yeux au point. C’était une blague, mais cela donne du mystère à la photo. Cela donne la sensation du mouvement dans un espace très restreint. Ou avec Allen Ginsberg, il y avait des gens qui fumaient des cigarettes, et dans la fumée, il y a aussi du mouvement. On peut obtenir beaucoup d’un simple détail.
Quand je vais photographier une personne, elle me dit souvent : « Qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? » Pour moi, ce sont les mots les plus effrayants qu’on puisse prononcer. J’ai envie de lui répondre : « S’il vous plaît, mettez vous dans la lumière et faites quelque chose d’inhabituel. »
(Interview du 22 mai 1993. John Loengard, LIFE Photographers: What They Saw, Boston, A Bullfinch Press Book, 1998)