Rechercher un article

L’histoire des Rencontres par Françoise de Noyelle

Preview

Pour célébrer cet anniversaire, Sam Stourdzé a demandé à Françoise de Noyelle de réaliser un livre aux éditions de la Martinière. Il raconte l’histoire de ces Rencontres, réunit plus de 300 photos et rassemble les témoignages de cinq grandes figures du festival – Jean-Claude Gautrand, Maryse Cordesse, Jean-Claude Lemagny, François Hébel et Sam Stourdzé.

Nous en avons choisi ces quelques extraits.

Maryse Cordesse
De toutes les soirées, expositions et colloques, quels souvenirs particulièrement forts gardez-vous ?
La soirée « Jazz et Photographie » organisée par Guy Le Querrec en 1983 fut fantastique. Les projections étaient formidables, et cet accord
entre l’ouïe et le regard procurait un plaisir complet. Cette soirée a fait un tabac, y compris chez les Arlésiens.
Le cadre jouait beaucoup aussi : pour moi qui suis passionnée par le monde antique, être dans ce théâtre romain, voir l’écran se lever doucement devant les colonnes, au son des instruments… c’était magique.
Mais c’est surtout l’ambiance générale qui imprégnait la ville au moment des Rencontres que je retiens.
Le mot « rencontres » n’est pas anodin pour moi.
Je voulais qu’il y ait une atmosphère conviviale, que tout le monde croise tout le monde, surtout dans une petite ville
où tout peut se faire à pied.
Quand on se souvient de cette période, une évidence s’impose :
Arles, c’est d’abord une aventure humaine.

Jean-Claude Lemagny
La lecture des portfolios a eu une part importante dans le rayonnement des Rencontres et dans l’intérêt que leur portaient les jeunes photographes.
Vous avez été l’une des gures cardinals de cette activité. Comment cela se passait-il ?
Cela a commencé dès le début du festival, et c’est peu à peu devenu une institution. Les Rencontres d’Arles portent bien leur nom, parce qu’il s’agit avant tout de rencontres entre des gens qui se montrent leurs images.
Partout dans la ville, les photographes ouvrent leur portfolio. Et moi, comme les autres, j’étais là pour regarder des photographies intéressantes. Je le faisais dans la cour de l’hôtel Arlatan, avant que son directeur, monsieur Desjardins, – cet excellent homme – ne m’installe dans une pièce du rez-de-chaussée.
J’ai pris l’habitude de m’y rendre tous les matins, et il est venu de plus en plus de monde pour me montrer des photographies. Au bout d’un moment, j’ai dû établir une liste pour éviter que les photographes ne se disputent. J’ai fini par y consacrer toutes mes journées. Renonçant à mon repas du midi, je parvenais enfin à m’échapper pour aller dîner – et certains étaient encore là, la nuit tombée, à m’attendre au coin de la rue.
Comment procédiez-vous ?
Disons que beaucoup de gens regardaient des photos, mais peu les regardaient vraiment. Souvent, et parfois avec la complicité du photographe, on se lance dans des considerations qui n’ont rien à voir avec l’image que l’on a devant soi. Mes principes à moi étaient : voir, regarder, me mettre en face de l’image ; ne pas me perdre dans des réflexions politiques, sociologiques ou psychologiques, dont je n’ai rien à faire et qui rongent la photographie de tous les côtés, qui recouvrent sa virginité. Moi, je regardais les formes : les ombres, les lumières, les traits, les masses, etc. Je suis un disciple d’Henri Focillon et de sa Vie des formes, selon moi le plus grand livre qu’on ait jamais écrit.
Je regardais beaucoup, et je ne disais pas grand-chose. Les personnes qui venaient, jusqu’à remplir la salle, semblaient pourtant se satisfaire de mes paroles : j’aime bien dire que les gens venaient pour « m’écouter regarder ». Je ne voulais pas qu’ils se soient dérangés pour rien, alors j’essayais aussi de communiquer avec l’assistance. Par exemple, quand je voyais une image intéressante, je la montrais. Il y avait un côté pédagogique.
Vous avez regardé des portfolios pendant plus de deux décennies. Un lien existait-il entre ces séances et votre travail de conservateur à la Bibliothèque Nationale ?
Bien sûr ! Je recevais les photographes entre cinq et dix minutes (alors qu’il faudrait passer une demi-heure sur chaque image pour en parler vraiment…) et je prenais leurs coordonnées sur une feuille blanche. Quand je voyais quelque chose d’intéressant, je rajoutais discrètement une petite croix dans un coin. Le soir, sur mon lit, j’étalais mes trouvailles du jour et je retrouvais mes croix. Et plus tard, toujours discrètement, je prenais contact avec ces photographes depuis la Bibliothèque nationale pour essayer de faire rentrer leurs œuvres dans les collections. Les gens savaient que je recontactais certains d’entre eux ; c’est aussi pour cette raison qu’il y avait une telle audience. En effet, c’est un honneur d’être à la Bibliothèque Nationale. Je le pense vraiment, mais j’avoue que j’exerçais ce chantage autant que possible. Étant donné les faibles moyens financiers de la Bibliothèque, il fallait que je fasse entrer des œuvres presque gratuitement…

François Hébel
C’est pourquoi vous décidez d’investir des friches industrielles : les ateliers de la SNCF.
Auparavant, les Rencontres disposaient de peu de lieux, dont la plupart étaient encombrés, délabrés, ou bien ne permettaient pas qu’on les équipe de cimaises afin de montrer décemment des photographies. Par contraste, les anciens ateliers de la SNCF me semblaient parfaits. De plus, on n’avait jamais vu en Europe d’art contemporain dans des lieux industriels. Le souci, c’est qu’il fallait de l’argent pour les rénover et les aménager. J’ai donc pris un avion pour Rochester, aux États-Unis, a§n de rencontrer le vice-président de Kodak – qui, pour le coup, était en perte de vitesse – et lui demander de sponsoriser le festival. Il m’a dit : « Si vous pouvez m’amener un professionnel toutes les demi-heures de 7 heures à 17 heures, vous aurez tout l’argent que vous voulez. » J’ai répondu que ce serait plutôt entre 10 heures et minuit, et il a accepté. Trois millions de francs par an pendant trois ans, plus un million pour la publicité : grâce à cette somme astronomique, nous avons pu installer la photographie dans les bâtiments de la SNCF. Avec l’aide de professionnels du théâtre (scénographes, décorateurs, concepteurs lumière, etc.), nous avons reconstruit et repeint les murs en fonction des œuvres, au lieu de leur faire subir l’architecture. C’était une expérience totale.

Sam Stourdzé
En guise de conclusion : quel est votre meilleur souvenir d’Arles ?
Il y en a beaucoup, mais pour l’anecdote, un de ceux que j’aime particulièrement remonte à ma première fois à Arles, il y a une vingtaine d’années.
J’étais stagiaire dans une galerie d’art, qui étaient invitée à Arles. Je cherchais par tous les moyens à me rendre au festival dont j’avais tant entendu parler. J’ai donc proposé de conduire le camion qui allait descendre les œuvres exposées en échange d’une nuit d’hôtel !
Après dix heures de route, me voici place du Forum assis à une table de café où discutent six ou sept personnes. L’homme en face de moi porte un bermuda blanc et des chaussettes de tennisman. Il demande à mon voisin de droite : « Ralph, est-ce que tu peux me passer l’eau ? » L’autre répond : « Bien sûr, Helmut ! » Et je me tourne effaré vers mon patron : « Mais… Ralph, c’est Ralph, et Helmut, c’est Helmut ? »
Je ne leur ai pas adressé la parole, mais j’avais des étoiles plein les yeux. Voilà la magie d’Arles ! J’espère que celles ou ceux qui dirigeront demain le festival pourront toujours discuter avec les Helmut Newton ou les Ralph Gibson d’aujourd’hui. Et je crois que c’est le cas : quand je vois Pieter Hugo, Cristina de Middel, Roger Ballen, Susan Meiselas ou Don McCullin à une terrasse de café, je me dis que les Rencontres portent toujours, dans leur nom même, l’essence de la générosité de leur projet.

Merci de vous connecter ou de créer un compte pour lire la suite et accéder aux autres photos.

Installer notre WebApp sur iPhone
Installer notre WebApp sur Android