On pourrait dire d’Anne-Sophie Costenoble qu’elle est portraitiste. Avec elle, les lianes prennent corps, les êtres se délient, les fougères sourient, les blondeurs défient, les chouettes s’invitent.
Ni intention, ni message. Sa poésie est joyeuse. Parce que si délicate, elle porte l’espoir de la douceur omniprésente d’un monde enchanté et sublime la part d’ombre en chacun de nous, en l’habillant d’une beauté contagieuse. La photographe épouse l’accident dans un abandon, qui se veut réciproque, et, au hasard des lumières délicates qu’elle apprécie, lie l’étrange des couleurs monochromes à l’intime des noirs et blancs colorés. « Il ne faut pas que ce soit facile, j’aime le trouble, l’opaque et le vulnérable. »
Elle pratique un journal photographique intuitif, sensoriel et poétique, témoin de ce qu’elle ressent. « Je photographie pour moi, c’est une sorte de vie parallèle. Pour désapprendre, m’autoriser, me réveiller ». C’est toute la fragilité de la vie qu’elle dit, par son regard d’enfant préservé. Elle va vers le monde et résiste au repli sur soi. « Ne jamais sortir du corps, de sa joie, de ses angoisses sourdes, de son silence et parfois de son intimité. » Confiante, elle entre dans l’intimité de ces personnalités végétales ou animales, humaines ou picturales. Le regard se fait caresse, et incite à se sentir juste présent devant tant de beauté.
Anne-Sophie Costenoble réinvente sans cesse son travail, et s’imprègne de ce qu’elle vit, ressent, lit, écoute. Et si certains auteurs, Japonais surtout, lui ont appris à ressentir le monde, en effet ses images, tels des haïkus, rythment la beauté fugace d’un instant de vie. « Je glane des moments fragiles, des hasards poétiques. Je ne sais pas ce que je cherche, mais pressens que quelque chose va se révéler. Il y aura ce moment de flottement, complice. ».
L’univers de ses inspirations est vaste et infuse dans son imaginaire, tantôt symbolique, tantôt théâtral. « La découverte du courant pictural symboliste a changé mes perceptions », ajoute-t-elle. « La peinture me donne régulièrement envie de prendre mon appareil photo. Certaines musiques m’invitent à quelque intériorité, le théâtre, contemporain surtout, me fait entrer dans un temps distendu, le cinéma m’emmène dans une rêverie parallèle, la danse réveille une sensualité. »
Ses photographies deviennent des mots, les mots des sensations. Ils viennent de loin et sédimentent. « Les mots m’accompagnent depuis longtemps. Ils me sont nécessaires, m’ont nourrie et “élargie”. Ils font partie de moi et de mon travail ». Guidée par le sensible, l’errance lui va bien. « Je fais plus facilement des images en voyage. On est plus fragile, disponible à l’imprévu et à la rencontre, les sens sont en éveil. Mais l’image est rare, il faut quelque chose de prégnant. J’affectionne les images “ouvertes”, pas trop évidentes. En revanche, un temps de latence est alors nécessaire, pour permettre le détachement. Une photographie se détache parfois, rencontre une autre par hasard et une poésie naît. On reste dans l’évocation… » L’heure bleue : un livre, une exposition, et deux sensations pourtant bien différentes qui se font écho.
Cilou de Bruyn
Cilou de Bruyn est auteure et consultante en photographie. Elle vit et travaille à Bruxelles, en Belgique.
Anne-Sophie Costenoble, L’heure bleue
Publié par ARP2 éditions
35 €
Une édition de tête a été tirée de 25 exemplaires numérotés de I à XXV, chacun accompagné d’un tirage original numéroté et signé.
Exposition au Musée de la photographie à Charleroi
Jusqu’au 3 décembre 2017