Rechercher un article

Les vestiges de la ligne Maginot, par Alexandre Guirkinger et Tristan Garcia

Preview

Bunkers noircis, haies ensauvagées, bosquets lugubres vomis par des crevasses : pas d’autre couleur que le sombre sur les photographies d’Alexandre Guirkinger. Les vestiges de la Ligne Maginot, qui échoua à protéger les Français des Allemands, sont autant de cicatrices dépigmentées sur le visage du XXème siècle européen, traversé de spasmes et baigné de larmes.

De la vue aérienne au détail de mousse, images austères de ruines totémiques, autour desquelles la nature semble toujours prête à engloutir, après l’avoir toisé, ce que les hommes échafaudent pour distinguer le nous du vous et défendre leurs frontières.

Des frontières, la photographie sait suivre les traces ; mais que peut-elle faire comprendre, au fond, de ce qui sépare les hommes ou les oppose ? Les images d’une guerre, qui en montrent le spectacle physique, peinent à expliquer une haine, une peur, qui fait son suc ; saisis dans un mouvement, les corps en lutte ne disent rien des batailles de l’esprit, et la frontière entre deux âmes semble un mystère inaccessible aux images. C’est le cas entre deux combattants, mais aussi entre deux amoureux : le mari qui photographie sa femme chaque jour et connaît son corps dans les moindres détails se voit pourtant sans cesse refuser l’accès à son monde intérieur ; d’un être, le corps photographié semble ne laisser que des indices, et le protéger autant qu’il ne l’expose.

« Tel un mirage triste, l’autre s’éloigne, se reporte à l’infini et je m’épuise à l’atteindre* ». Arpenter, par la photographie, cette ligne de démarcation ci est peut-être l’exercice qui nous touche le plus en matière de frontières ; parce qu’aucun territoire interdit ne sera jamais aussi lointain qu’un Autre voulu mais inatteignable, présenté mais défendu, voire mitoyen mais adverse.

En écho à ces pensées, une image refait surface : Eleanor Callahan, photographiée par son mari Harry, à Chicago en 1949. Les yeux clos, le corps plongé dans l’eau, elle s’y offre au regard sans rien laisser deviner du cours de ses pensées ; à portée de contact, mais mentalement inaccessible. On se prend alors à penser au guetteur à l’œil usé scrutant la lande depuis un mirador de La Ligne comme à l’amoureux cherchant présage dans un pli de front ou une cassure de sourire ; tous deux qui, confrontés à l’indéchiffrable mystère de l’être frontalier, finiront par s’entendre dire à voix basse, dans un aveu de solitude : « En quel coin du corps adverse dois-je lire ma vérité ? *» 

 

 

Antoine Soubrier 

Antoine Soubrier est un auteur spécialisé en photographie. Il vit et travaille à Paris.

 

*Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux, 1977

 

Alexandre Guirkinger et Tristan Garcia, La Ligne
Publié par RVB Books
Prix : 24€

https://rvb-books.com/book.php?id_book=126

 

Merci de vous connecter ou de créer un compte pour lire la suite et accéder aux autres photos.

Installer notre WebApp sur iPhone
Installer notre WebApp sur Android