Cogitations Mensuelles de Thierry Maindrault
Les années se suivent, et se ressemblent. Les années se suivent, mais ne se ressemblent pas. Chacun se projette, selon son tempérament, dans l’avenir différemment. Et puis, il y a ceux des terribles consensus, souvent les sympathisants de l’une ou de l’autre option, qui trouverons la confortable médiocrité d’un peu d’eau dans un peu de vin. Ainsi, les meilleures idées, les créations prometteuses s’enlisent lamentablement faute d’analyses anticipatives et d’actions aussi volontaristes et encadrées. Nos collectivités humaines n’ont pas encore bien compris que la Réalité naturelle exige du déterminisme pour assurer son équilibre. Toute évolution, tout progrès, toute découverte engendre toujours autant de bienfaits que de calamités, c’est le principe même de la vie.
Acteurs photographes, nous sommes dans une position très particulière et pas toujours confortable. Nous avons rapidement et collectivement pris en charge de reporter, objectivement ou subjectivement, les évolutions tant de notre grandiose environnement naturel (au sens le plus large et le plus lointain) que les conséquences néfastes de l’évolution du savoir humain. Dans le même temps, nous sommes parmi des premiers, techniquement impliqués, dans cette double mutation qui nous impose de plus en plus d’épines de frictions.
Il est évident qu’à un instant « T », la pilule est vraiment très difficile à avaler, les situations deviennent exsangues pour un grand nombre d’entre nous. Les situations techniques, économiques, sociétales, entrainent une rupture du cycle de la connaissance, de la curiosité et de la création. Toutefois, Quelles que soient les mutations, les évolutions, ou même les révolutions, l’image restera l’image (une interprétation d’un cerveau). Il demeure l’image, il perdure l’essentiel, la façon de communiquer entre une boite crânienne (l’auteur) et une autre (le receveur), à travers un medium. Notre photographie a eu le temps (deux siècles) pour démontrer sa capacité d’occuper une place importante, incontestable et durable dans l’univers du témoignage artistique.
Il est hors de question de baisser les bras et de se lamenter, pour les passions créatives chevillées, au corps. Il faut savoir rêver pour imaginer l’avenir. Si nos images authentiques sont toutes nées d’un rêve, prémédité ou instantané, nos compétences imaginaires se doivent également d’anticiper le futur pour les hommes, l’avenir pour les photographes.
Alors rêvons un peu, beaucoup, …
Ce jour, notre premier rêve ne serait-il pas de rétablir certains outils dans leur rôle et de supprimer leur dévoiement. Si la toile tentaculaire retrouvait sa fonction initiale comme ensemble de canaux multidirectionnels. Un instrument de communication et de partage qui engendre la créativité sans devenir un mode vie pour un troupeau hagard qui se fait plumer par l’ignorance. La circulation des images entre deux points responsables.
Et puis, rêvons aussi de nos images, sécurisées d’accès, définitivement hors de ces centres omnipotents et omniprésents qui ressemblent plus à de gigantesques poubelles où l’on peut trouver n’importe quoi, sous la forme d’une très fragile polarité. Actuellement, la technologie permet à chacun de conserver son travail chez lui en toute sécurité et de le faire parvenir, à bon escient, sans le dévoyer tous azimuts. Avez-vous pensé que ce qui fonctionne (relativement bien) pour vos impôts peut s’appliquer à nos photographies ?
Le troisième rêve s’invite logiquement dans la foulée. Les énormes économies issues de la suppression de cette nappe tentaculaire. Contrairement aux affirmations des bons apôtres, la situation actuelle est dévastatrice pour le futur. Il est évident que le principe que rien ne se crée, rien ne se perd, pourrait nous laisser penser que les gigantesques fortunes qui s’amassent proviendraient du fin fond de l’univers pour remplir quelques poches audacieuses. Il n’en est rien. Ces abondances sont prélevées sur la masse utilisatrice et sur les actifs de notre planète. Les consommations d’énergie pour rafler des milliards sont phénoménales. Le vol des savoirs, des droits, des travaux des autres garnit leur escarcelle. A chaque fois que certains d’entre nous dépose une photographie sur un site qui ne lui appartient pas intégralement, en droits, il enrichit les magnats du vent. Chacun est libre de le faire sans penser qu’il scie la branche qui le porte, lui et ses collègues qui refusent pourtant ce choix. Alors rêvons que des branches ne soient plus stupidement coupées, pas plus que des arbres et des forêts.
Je rêve que tous ces organismes parasites et budgétivores qui répartissent quelques miettes, trop maigres, de droits dits collectifs, dépensent moins d’argent dans leur propre train de vie. Qu’ils exigent des droits en rapport des usages, dits collectifs, de nos images (le plus souvent volées), et redistribuent un pourcentage garanti aux auteurs (ceux qui travaillent avec leur tête). Et puis, faut-il une ribambelle d’organismes récoltants/répartiteurs de droits dans chaque pays. Les outils informatiques peuvent permettre une gestion unique et équitable de tous les droits, tous types de créations humaines confondues.
Enfin, le sublime et dernier rêve pour cette année. L’arrêt de l’accès et du vol, en toute impunité, de toutes nos œuvres stockées, avec ou sans notre autorisation, dans les méandres redondants du monstre internet. Ce pillage caractérisé, sans autorisation, pour faire fonctionner des machines à décerveler des masses de population, semble l’urgence la plus absolue pour la bonne fée en charge de cette nouvelle année. La conception binaire n’est qu’une manipulation, sans une once d’intelligence ; sauf, celle des programmeurs qui la font accoucher dans le seul sens de leur intérêt. Ne va-t-on pas, encore une fois, faire d’un exceptionnel outil prometteur un enfer pour le plus grand nombre ?
Mes vœux les plus sincères pour chacun de vous en cette année de tous vos rêves !
Thierry Maindrault, 10 janvier 2025
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