Karlheinz Weinberger était, jusqu’à la révélation internationale de son travail en 2011, un photographe suisse méconnu. Ce livre posthume, édité par Steidl, rend hommage à une génération helvète en quête d’identité.
Dans les années 50, le suisse Karlheinz Weinberger fait la connaissance dans les rues de Zürich d’un jeune rocker qu’il fait poser devant son objectif. C’est ainsi que le photographe de magazine gay s’immisce dans la florissante culture des gangs helvètes. Ces adolescents, sous influence américaine, jouent les durs en grosses bécanes, affichent leur nom de bande, se roulent par terre et se bécotent dans les bois. Ils portent le fer à cheval, le casque de la Wehrmacht en signe de rejet de l’autorité et ont remplacé les braguettes de leurs jeans par des chaînes, des boulons ou des boucles de ceinturon à l’effigie d’Elvis. Fasciné, Weinberger les regarde alors avec respect et immortalise ce quotidien dans un travail brut et personnel, amenant également ces têtes blondes rebelles une par une dans son propre univers : un entrepôt industriel où il travailla une grande partie de sa vie, photographiant pendant son temps libre et ses heures de repos.
Les images de ces « Halbstarker », littéralement « mi forts », avait été publiées en 2011 par l’éditeur Rizzoli dans une monographie, Rebel Youth, et font donc aujourd’hui l’objet d’une nouvelle publication chez Steidl intitulée Swiss Rebels. Une œuvre proprement sexy, frappante et totalement iconique. Qui propose bien plus qu’une série de fan du King en pleine crise rock & roll, mais derrière les photos, une réflexion sur la différence. Celle qu’a adopté ces jeunes en s’harnachant de babioles métalliques dans une volonté marquée de marginalisation vis à vis de la bourgeoisie suisse, tirée à quatre épingles. Un mouvement de rejet de l’idéal social imposé par la norme que Karlheinz Weinberger a su capter. Comme d’illustres noms de la photographie.
Si durant les quinze dernières années, les collectionneurs, la mode et les réalisateurs se sont de plus en plus intéressés à ces gueules d’anges fiévreuses, leurs photographies au réalisme cru demeurent encore peu connues du grand public. L’homme, qui s’est par la suite intéressé entre les années 1950 et 1980 aux Hell’s Angels suisses et a photographié la jeunesse d’Europe pendant cinquante ans, reste aussi à connaître. John Waters, auteur d’un avant-propos dans Rebel Youth, en sait quelque chose : « Karlheinz Weinberger est suisse ??! Vous devez plaisanter. » Oui, car la plupart du temps sans emploi, Weinberger a été un numéro au chômage, un esthète intermittent et un amateur inspiré, voire un passionné obsessionnel. On ne connaît de lui que son passé comme employé d’inventaire chez Siemens.
Selon Guy Trebay, éditorialiste au New York Times, il a pourtant été copié, lorsque Karlheinz Weinberger : Photos 1954-1995, un autre catalogue d’exposition sur les parias de la société suisse, paru en 2000. Notamment par le photographe Steven Meisel et le designer Martin Margiela. On sait néanmoins que la photographie était pour Weinberger, décédé en 2006, un moyen d’accéder aux différents mondes qu’il observait et qui lui paraissaient au départ inaccessibles. Il était par conséquent souvent un intime étranger et comme nombres de portraitistes, à la recherche de sa propre effigie ou même de plusieurs vies.
Jonas Cuénin
Karlheinz Weinberger, Swiss Rebels
Publié par Steidl
65€