Le château expose la collection de photographies du duc d’Aumale. Le fils de Louis Philippe a légué pas moins de 1400 clichés réalisés autour des années 1860.
À l’époque, la photographie n’en était qu’à ses débuts. Elle est donnée au monde en 1839 par le scientifique François Arago qui la promeut après les premières expériences de Louis Daguerre en présentant notamment les premiers clichés à l’Académie des sciences et l’Académie des Beaux Arts. Le duc d’Aumale, de son côté, est exilé en Angleterre depuis la révolution de 1848 qui a chassé son père du trône de France. Rival de Napoléon III, héritier d’une immense fortune, il va devenir un collectionneur invétéré, et, sur le conseil de son ami le vicomte Joseph Vigier, lui-même photographe, il va acheter parmi les premières photographies de l’histoire. L’exposition au château de Chantilly s’étale sur cinq salles, toutes dédiées à un thème et formidablement découpée, car nous comprenons bien les motivations du fils de Louis Philippe. La photographie était pour lui bien des façons de regarder le monde dans une situation particulière, où, en exil de sa mère patrie il devait composer dans un pays d’accueil, loin de ses amis et de ses habitudes.
Baldus
Ainsi, l’exposition s’ouvre sur des vues de Paris dans les années 1860. Les frères Bisson et Edouard Denis Baldus immortalisent les changements survenus dans la capitale au moment de l’avènement de Napoléon III. Ils photographient l’architecture d’alors, comme le Palais des Tuileries, résidence d’enfance du duc d’Aumale et qui n’était pas encore détruit – il le sera lors de la Commune en 1871 ainsi que l’hôtel de ville dont est aussi présenté une photographie dans ces années-là. Cependant, il y a déjà des modifications que le duc d’Aumale était curieux de regarder : l’aménagement des boulevards sous l’impulsion d’Haussmann, notamment à côté de la tour Saint-Jacques, le boulevard de Strasbourg, pris en photographie par Baldus en 1858. On imagine bien le duc piqué de surprise par les transformations d’une ville qui lui a tourné le dos et dont il se sent épris malgré tout, encore fraîchement installé dans un quartier cossu de Londres.
Alger
Mais la photographie est aussi la porte vers un ailleurs. Le duc d’Aumale va souvent en Italie. Sa mère est une princesse napolitaine et ses parents se sont mariés à Palerme. Il a des terres dans le pays et il s’y rend fréquemment. Il collectionne naturellement des vues de Rome attribuée aujourd’hui à des photographes anonymes. Les fouilles du Forum au centre de la ville, le château Saint-Ange riverain du Vatican – là où les papes pouvaient se réfugier en cas d’attaque. Une vue d’Athènes autour de 1860 est saisissante : l’Acropole est encore entourée de champs, comme s’il n’y avait jamais eu la ville qu’on connaît et donne, le sentiment d’un château imaginaire se dressant à l’horizon, vaporeux, comme la fumée d’un songe. A côté, sont exposées des photographies d’Alger. Le duc d’Aumale connaissait bien la ville pour avoir été gouverneur de l’Algérie à l’âge de 25 ans. Naturellement il possédait des images du pays, notamment des femmes orientales allongées avec un narguilé au pied; photographies offertes par son frère, l’amiral Joinville.
Le froid, le gel
Autre voyage : les virées dans les montagnes alpines. En ce temps-là, la mode était à l’air pur des cimes et notamment le fait de rentrer avec un cliché du lieu où on était allé. Le duc d’Aumale collectionne les images d’Adolphe Braun. Ce dessinateur industriel qui va découvrir la photographie en l’utilisant pour accompagner le dessin sur tissu va développer tout un art de la prise de vue en montagne et faire d’élégants tableaux où le regard peut se perdre sur l’horizon des monts enneigés, sur la beauté d’un lac gelé. Il faut imaginer la difficulté que représentait le fait de prendre alors ces photographies : il fallait lutter contre le froid, le gel. En récompense, ces images étaient présentées dans les grandes expositions internationales et elles contribuaient à élever la. photographie en tant qu’art.
Leviathan
Ce rôle documentaire de la photographie était aussi développé pour l’architecture et les objets d’art. Le duc d’Aumale possédait également des images des ruines de l’abbaye de Vaux-de-Cernay, magnifiques tableaux mélancoliques où les herbes folles se disputent les restes de pierres. Ces photographies ont été offertes par la baronne de Rothschild à qui appartenait le domaine. Autres documents : les clichés de Louis Rémy Robert qui prenait en photographie les céramiques de la Manufacture de Sèvres ou encore ceux du photoreporter Robert Howlett quis’intéresse, en novembre 1857, à la construction d’un immense navire à Londres, le Leviathan. Bien sûr, le duc a aussi une myriade de portraits dans sa collection – c’est même le genre qu’il a le plus. L’exposition nous les présente dans une petite vitrine avant de nous laisser à la dernière sale où sont accrochées les marines de Gustave Le Gray. Peintre raté, Le Gray fera fortune dans la photographie avant de connaître la faillite et un sort difficile. L’individu invente la « marine » en photographie, et livre, notamment, un cliché qui le rendra célèbre : « Brick au clair de lune ». Un voilier à l’horizon tandis que le soleil s’étale sur le dos de la mer, tandis que d’épais nuages accompagnent la pureté du ciel, tandis que des badauds ramassent quelque chose sur la plage… Mystérieuse et profonde image.
Jean-Baptiste Gauvin
The Primitives of 20th Century Photography at Chantilly
31 octobre 2018 – 6 janvier 2019