André Steiner, Man Ray, Jean Painlevé… nombreux sont les photographes qui ont immortalisé de près ou de loin l’océan. Une exposition au Havre permet de découvrir cette facette de leurs œuvres à côté de peintures et de sculptures épousant le même thème.
Le premier rapport entre les abysses et la photographie remonte au travail d’Anna Atkins en 1845. La photographe ne prend pas les fonds marins car à l’époque le boîtier étanche n’existe pas encore. Mais elle veut capturer ce qui surgit de l’océan et que les vagues recrachent sur les rives : des algues. Pour cela, elle utilise le procédé du cyanotype, c’est-à-dire qu’elle dépose une branche d’algue sur du papier, puis l’expose au soleil toute une journée avant d’ôter l’algue et d’y trouver, à la place, la forme laissée par une trace blanche. Emouvantes photographies de l’élément d’un monde inconnu alors et qui ne cessera d’être exploré par les photographes suivants.
En 1893, c’est une révolution dans le domaine. Après cinq ans d’efforts et de recherches, le biologiste Louis Boutan met au point le premier caisson étanche qui permet d’y placer un appareil photo et de plonger avec. Fort de ce succès, il photographie des anémones et s’amuse à se prendre lui-même en photographie en habit de scaphandrier.
Cinquante ans plus tard, Philippe Halsman joue lui aussi avec l’appareil photographique étanche. Accompagné de son ami Jean Painlevé, il fait partie du cercle des plongeurs amateurs surnommé le « club des sous l’eau » et il s’adonne à de drôles de portraits : deux hommes en train de prendre l’apéritif, un autre faisant du vélo et tout cela dans un bassin, au fond d’une piscine.
« Beauté convulsive »
Bientôt l’eau devient un thème à la mode. Chez les surréalistes elle symbolise l’exploration des cinq sens et l’idée qu’on se fait de l’inconscient. Le monde inconnu des abysses fait écho à cette part obscure du cerveau humain. D’abord l’eau est la matière du désir. C’est d’elle d’où jaillit Vénus, la déesse de l’amour. Les photographes se passionnent pour le thème dans les années 1930. Rogi André attrape la nage sensuelle d’une nymphe qui semble se confondre aux mouvements langoureux d’une vague. Man Ray photographie une femme à travers le filtre que constitue un aquarium. Brassaï fait des petites sculptures de sirènes quand Serge de Sazo effectue, lui, le portrait de deux nageuses nues. Tout est permis depuis le texte sur la « beauté convulsive » d’André Breton et publié en 1934 dans la revue Minotaure. Le poète enjoint les photographes à tout faire tant qu’il y a la recherche de la beauté comme moteur.
Tentacule
Mais la mer n’est pas qu’un bassin doux pour que barbotent des nymphes, sirènes et autres ondines. Elle est aussi le théâtre des monstres, des créatures aux formes tordues et inquiétantes. Dans ce domaine un photographe excelle : Jean Painlevé. A la fois cinéaste et biologiste marin, l’homme photographie comme personne la beauté sauvage de la faune marine. Ici c’est un buste d’hippocampe, là le tentacule d’une pieuvre, ici la pince d’un homard. Jean Painlevé se plaît à jouer des formes et donne volontiers une inquiétante étrangeté à l’ensemble. La pince de homard, par exemple, est placée de telle façon qu’elle nous fait penser à un visage au nez crochu de sorcier. Parfois, Jean Painlevé pousse l’observation jusqu’au détail extrême : il prend « l’ouverture de la poche incubatrice du mâle hippocampe » ou bien le « panache respiratoire du ver spirographe ».
Paysages nouveaux
A ces expérimentations scientifiques – Jean Painlevé photographie une grande partie des créatures marines dans un aquarium afin de pouvoir utiliser une lumière optimale – répondent des expérimentations de la photographie même. Jacques André Boiffard, Raoul Ubac et André Steiner tentent de faire jaillir la matière même d’un cliché. A travers le photogramme, ils trouvent un nouveau terrain de jeu où se déploie un microcosme bizarre dans lequel des formes rappellent des motifs sous-marins. Ainsi de cette photographie de Boiffard qui fait penser au tentacule d’un poulpe ou encore celle où se dessine la silhouette échancrée d’un hippocampe.
Des formes qu’un photographe contemporain va chercher sous l’eau et dont le travail est présenté à la fin de l’exposition. Nicolas Floc’h a décidé d’immortaliser les fonds marins d’aujourd’hui. Plongeur professionnel, il va à la rencontre de tableaux surprenants qui émergent au fond de l’océan. Il se promène dans une forêt d’algues au bord de l’île d’Ouessant ou encore dans les récifs de Kuroshio au Japon. Il en rapporte une forme nouvelle de paysages à la fois vivants et colorés et à la fois désertiques et menacés, dans cette ambivalence à l’heure d’un océan plus que jamais pollué et pourtant toujours méconnu et empli de splendeurs.
Jean-Baptiste Gauvin
Jean-Baptiste Gauvin est un journaliste, auteur et metteur en scène qui vit et travaille à Paris.
Né(e)s de l’écume et des rêves
5 mai au 9 septembre 2018
Musée d’art moderne André-Malraux
2 Boulevard Clemenceau
76600 Le Havre
France