Nous continuons la diffusion des projets sélectionnés pour les Prix des Nuits Photographiques 2015, qui ont été remis le 19 septembre dernier. Aujourd’hui, nous vous présentons » Srebrenica, nuit à nuit « , un reportage réalisé en Bosnie en 2014/15 par Adrien Selbert, membre de l’agence HansLucas. Juillet 1995 : l’armée serbe de Bosnie attaque l’enclave musulmane de Srebrenica. Près de 8000 hommes seront massacrés en 3 jours. 20 ans plus tard, la ville semble figée dans l’obscurité de son histoire. Une nouvelle génération erre dans ses vestiges. Elle a l’âge du génocide.
Srebrenica, nuit à nuit from Adrien Selbert on Vimeo.
Devenue le symbole de la barbarie serbe comme de l’inanité de l’ONU à arrêter un génocide dans une zone dite « protégée », la ville de Srebrenica a vécu pendant 20 ans sous généreuses perfusions des ONG. L’aide internationale a notamment permis les programmes d’aide au retour, la réouverture de quelques usines et la construction d’un supermarché flambant neuf au milieu des bâtisses défigurées par les tirs de mortiers.
Vivre à Srebrenica, c’est faire l’expérience de ce temps indéfinissable qu’est l’après-guerre. Si chacun sait quand commence cet » après « , qui peut dire quand il s’arrête ? En déambulant dans cet espace où cohabitent les témoignages de l’horreur et de la paix, une question émerge : « Y’a t’il une fin à la fin de la guerre ? »
En discutant avec les jeunes du coin, on devine que la nuit de l’histoire ne s’est jamais vraiment levée. Si le traumatisme est encore bien présent chez les survivants, les cicatrices affleurent toujours sur les façades.
Pour les jeunes, tout cela a du sens. Qui continuerait à subventionner une ville totalement remise sur pied ? Pour que les internationaux continuent de s’émouvoir 20 ans après, il faut maintenir une partie du décor dans son jus. Pour le symbole et le business.
Dans un pays largement corrompu, où trouver un job nécessite souvent de s’encarter, la jeunesse continue de s’interroger : où va l’argent ?
La guerre est dans le décor, elle est aussi dans le tempérament rageur et désespéré de la génération post-génocide. La guerre, c’est celle qu’il faut mener au quotidien dans cet « après » qui vous colle au pied.
Quand on a 20 ans, comment grandir dans des vestiges, comment s’extraire de cette nuit sans fin? Impossible selon eux. Qui vient à Srebrenica, ne vient pas pour sa rakia ou pour ses montagnes boisées (encore minées). Qui vient à Srebrenica s’y rend au mieux pour le « devoir de mémoire », sinon pour ressentir le frisson de l’histoire face à ce mur criblé, dans cette usine abandonnée, devant le visage buriné de cet homme… Qui vient à Srebrenica arrivera chargé de bonnes intentions sur l’entente entre les peuples et la paix des religions… L’enfer. L’enfer, c’est le regard de l’autre. Celui qui vous fait facho en puissance ou victime à plaindre selon vos origines. La jeunesse d’ici ne demande rien, merci pour elle.
Vivre à Srebrenica est une injustice pour qui a 20 ans et veut simplement boire et faire l’amour. Et tous les programmes d’aide n’y pourront rien.
Ademir, Milica, Merka, Miroslav ont l’âge du génocide.
Dans la nuit de l’histoire, la ville leur appartient.
Diplômé des Beaux-Arts de Nantes et des Arts décoratifs de Paris, Adrien Selbert, 30 ans, est réalisateur et photographe.
En 2005, sur un coup de tête, il part en Bosnie avec une amie. Vingt-quatre heures plus tard, le pays lui « saute au visage ». Il y réalisera 2 films dont Nino’s Place, Prix du meilleur Grand reportage au Festival du films des droits humains de Genève.
Loin de la grammaire habituelle des photos de presse, il travaille sans flash et sans pied, à main levée, se laissant guider par les lumières et les situations qu’il rencontre.
« Srebrenica, nuit à nuit » est son premier travail photographique. Il est finaliste du Prix Mentor Scam FreeLens et lauréat du 2e Prix Fisheye des Rencontres d’Arles.
Il constitue la première étape d’une étude au long cours à partir de cette question « La Bosnie existe-t-elle ? ».
http://hanslucas.com/aselbert/
FESTIVAL
5ème édition des Nuits Photographiques
Exposition Money
Du 17 septembre au 12 décembre 2015
Pavillon Carré de Baudouin
121 Rue de Ménilmontant
75020 Paris
France
http://lesnuitsphotographiques.com