La galerie Les filles du calvaire présente du 11 mars au 29 avril 2023 un panorama de l’œuvre de Karen Knorr, dévoilant une sélection inédite de ses photographies les plus récentes, aux côtés d’œuvres majeures extraites de ses séries historiques, peu vues depuis les années 1990 pour qu’une nouvelle génération et un nouveau public les voient.
Basée à Londres, la photographe s’est fait connaitre dans les années 1980 au moment où l’imagerie de la célèbre « Picture Generation » américaine imprégnait le monde de l’art. L’œuvre de Karen Knorr s’ancrait quant à elle dans un contexte britannique en portant un intérêt profond aux débats critiques qui circulaient autour du postmodernisme et des féminismes en Grande-Bretagne. Knorr a d’emblée orienté ses réflexions sur le post- colonialisme et sa relation à l’esthétique.
Les premiers travaux en noir et blanc de Karen Knorr, associant texte et image, sont à mettre en lien avec le processus d’appropriation d’images opéré notamment par Richard Prince et Sherrie Levine dans l’exposition « Beyond the Purloined Image » organisée par l’artiste Mary Kelly en 1983 aux Riverside Studios. Ces méthodes de perturbation et de distanciation déployées dans ces premiers travaux se poursuivent jusque dans son œuvre la plus récente, « Questions After Brecht », vidéo présentée pour la première fois à la galerie.
La photographie documentaire a une longue tradition en Grande-Bretagne, et il faut imaginer le contexte historique de renouveau à partir des années 1970, de remise en question et de réinvention. À la décennie suivante, le « nouveau documentaire » s’inspire des processus de l’art contemporain en manipulant les notions d’authenticité et de vérité. Ce jeu va s’opérer dans le travail de Knorr où se mélangent une réalité soigneusement observée et des illusions consciemment construites. Elle développe alors un dialogue critique et ludique avec la photographie documentaire en utilisant différentes stratégies visuelles et textuelles pour explorer ses sujets, qui vont de la famille (et mode de vie) à l’animal et sa représentation dans un contexte muséal.
Entre 1979 et 1981, Knorr compose Belgravia, une série en noir et blanc qui associe image et textes ironiques et humoristiques. Le tout met en lumière les aspirations, le style de vie et le système de classes britannique sous l’ère Thatcher. Dans la foulée, elle produit Gentlemen (1981-1983), une série réalisée dans les clubs masculins de Saint James à Londres, acclamée par la critique. Elle y examine les valeurs patriarcales et conservatrices de la Grande-Bretagne, à l’heure de la guerre des Malouines. Plus tard, la série Country Life (1983-1985) critique les valeurs aristocratiques, la propriété et envisage le paysage frontalier écossais. En 1986, avec Connoisseurs, Karen Knorr utilise la couleur pour explorer le « connoisseurship anglais » ou « l’art du connaisseur», avec ses valeurs d’authenticité et de patrimoine. Les intérieurs de la Chiswick House, la Osterley Park House et la Dulwich Picture Gallery lui servent de décors pour ses mises en scène.
L’utilisation de textes et de sous-titres apparaît comme un moyen de ralentir la consommation de l’image et d’offrir un commentaire sur les idées reçues qui rongent la culture muséale et les Beaux-Arts. Karen Knorr continue d’utiliser ces stratégies à travers ses collages photo d’animaux, d’objets et de modèles dans des musées et architectures officielles. Citons ici les séries Academies, Fables, India Song ou encore Monogatari. Ces travaux remettent eux aussi en question l’autorité et le pouvoir des sites patrimoniaux en Europe, en Inde ou au Japon.
« Le parcours que propose la galerie Les filles du calvaire dans le travail de Karen Knorr met en exergue l’appétence de l’artiste dans sa recherche insatiable d’un positionnement mobile, d’un œil-caméra qui ne cesse de multiplier les points de vue, sans jamais se fixer, sans jamais se complaire. L’artiste-chercheuse qu’elle est, curieuse des autres, du monde qui l’entoure se frotte, par le truchement de l’image dont elle maîtrise parfaitement les codes, aux corps politiques et sociaux. En parallèle de la scientifique et philosophe Donna Haraway, théoricienne du savoir-situé, la photographe opère un décentrement permanent et critique afin de toujours sortir de l’évidence et discuter ce (ceux/celles) multiples qui compose les marges ». Marion Duquerroy (extrait)
En trente œuvres clés, cette exposition propose un regard sur l’œuvre d’une figure emblématique de la photographie contemporaine. Par ses engagements politique et artistique, Karen Knorr a développé une œuvre singulière et critique dont la galerie souhaite souligner l’étendue.
Karen Knorr
du 11 mars au 29 avril 2023
Les filles du calvaire
17 rue des Filles-du-Calvaire
75003 Paris
https://www.fillesducalvaire.com/